L’Histoire de l’Ordre

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L’Histoire de l’Ordre

HISTOIRE      DES

Chevaliers   de   Malte

 

 Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem,

Chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean,

Chevaliers de Malte.

  

LES ORIGINES DE L’ORDRE

 

J É R U S A L E M

            Il paraît probable que la fondation de l’Hôpital de Jérusalem de l’Ordre de St. Jean eut lieu aux environs de l’an 1050 par le bienheureux Gérard. Il est bien de noter que la reconstruction du Saint-Sépulcre est achevée en 1048, date après laquelle des Amalfitains entamèrent des travaux pour construire des bâtiments dans le quartier du Saint-Sépulcre en face de la porte de l’église de la Résurrection, et près d’un monastère et d’une église en l’honneur de la Vierge Marie qu’on appelle respectivement le monastère des Latins et l’église Sainte-Marie Latine.

                        Les Amalfitains installèrent dans le monastère de Saint-Marie Latine des moines noirs qui étaient originaires soit du Mont-Cassin, soit de l’abbaye de la Sainte-Trinité de la Cava, soit de quelque autre couvent de la région d’Amalfi. Fondé au début du XI siècle, l’abbaye de la Sainte-Trinité de la Cava avait été réformé par l’ordre de Cluny dont les abbés appliquaient strictement la Règle de Saint Benoît révisée par Saint Benoît d’Aniane et veillaient à ce que tout soit « mis en œuvre pour favoriser la vie religieuse » en permettant « la prière continue, l’œuvre de salut personnel et collectif ». Comme les moines étaient, pour la plupart, des prêtres, les travaux manuels étaient confiés à des serviteurs.

            Les divers documents et témoignages établissent que les premiers moines de l’abbaye de Sainte-Marie Latine à Jérusalem étaient des bénédictins, vulgairement appelés moines noirs. L’abbé et les moines du monastère de Sainte-Marie Latine décidèrent de construire, à côté de leur église, un hôpital et une chapelle en l’honneur du bienheureux Jean Éleeymon pour le service des pèlerins qu’ils soient malades ou bien portants.

            Le bienheureux Gérard est à la fois le recteur et le fondateur de l’hôpital où fut édifier l’église de Saint-Jean Baptiste. C’est l’hôpital dont il est question dans la bulle « Pie postulatio voluntatis » (Lettre patente, donnée à Bénévent le 15 février 1113, la quatorzième année du pontificat du pape Pascal II). Cette bulle est d’une importance capitale pour l’Hôpital de Jérusalem puisqu’elle transforme celui-ci en ordre religieux, la mettant sur le même pied que le prestigieux ordre de Cluny.

            Désormais officialisée, l’œuvre de Gérard devient une organisation internationale de bienfaisance reconnue par les plus hautes autorités civiles et religieuses de l’époque qui pourra, lorsque le besoin s’en fera sentir, parler haut et clair au nom des plus démunis.

            Le bienheureux Gérard se sépare des moines de Sainte-Marie Latine et transforma radicalement le petit hôpital en l’adaptant à la situation nouvelle créée à la suite de la conquête des Lieux saints par les croisés.

            Les frères de Saint-Jean qui, après avoir quitté leur qualité d’oblats ou de convers de Sainte-Marie Latine, revêtent leur nouvel habit, font solennellement profession et s’engagent « à vivre selon une règle et des institutions honorables ». Tout cela est désormais placé sous la haute protection de Saint Jean-Baptiste.

            La raison d’être de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem est fort différente de celle des monastères et des ordres religieux que l’on connaissait jusque-là. Loin de se vouer, comme les autres moines, à des activités purement spirituelles et notamment à la contemplation, à la prédication ou à la propagation de la foi, les Hospitaliers prêtent leur assistance essentiellement aux chrétiens dans la détresse.

            Sous l’impulsion de l’hospitalier, c’est tout un ordre qui pratique l’hospitalité, non seulement en Orient, mais également en Occident.

            Les différences existant entre l’Hôpital de Saint-Jean et les autres ordres religieux vont encore s’accentuer sous le magistère de Raymond du Puy. Désormais, l’usage des armes ne se limitera plus à la légitime défense, comme c’était le cas à l’époque de Gérard, mais les Hospitaliers les utiliseront à chaque fois que l’étendard de la Sainte Croix sera déployé  pour défendre le royaume de Jérusalem.

            L’exemple du courage des frères d’armes de Saint-Jean qui, dès l’époque de Gérard, n’hésitent pas à risquer leur vie pour escorter les pèlerins sur les routes de Jérusalem, fait tache d’huile et l’on voit bientôt éclore ici et là des groupes de religieux bardés de fer et de foi. Cette prodigieuse efflorescence de moines-soldats qui tantôt s’installent dans plusieurs régions d’Orient et d’Occident, tantôt se cantonnent dans leur territoire national, commande le respect de tous. Il y avait dans l’Hôpital dirigé par le bienheureux Gérard des Chevaliers, des servants, des armes et des chevaux.

            Pour subvenir aux besoins des milliers de pauvres qui hantent l’Hôpital de Jérusalem et les obédiences qui en dépendent, Gérard dépêche des quêteurs aux quatre coins du monde chrétien : « Tendant habilement ses bras vers de nombreux pays, il recueillait de toutes parts les fonds destinés à nourrir les siens ». Les actes du « Cartulaire général de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem » corroborent cette affirmation.

            Se fondant sur le proverbe latin « Verba volant, scripta manent » les Hospitaliers font constater par écrit les donations. Une charte de 1129 rappelle en effet que les lois romaines et les anciennes coutumes conseillent d’établir les donations par écrit si l’on veut éviter toute contestation à leur sujet dans le futur : « Romanarum legum preceptis et antique consuetudine docemut ut, quicumque primam donacionem facere voluerit, scripture auctoritate corroboretur atque firmetur, ut in futuro tempore firma et stabilis permaneat ».

            Si le bienheureux Gérard a poursuivi plusieurs objectifs, il a cependant toujours donné la priorité au service des pauvres et des malades. S’il a parfois eu recours aux armes, ce fut constamment dans un but de légitime défense, pour protéger les pèlerins et les hôtes de l’Hôpital. S’il a demandé et obtenu du Saint-Siège des exemptions et des privilèges, il n’en a toutefois jamais abusé. S’il a admis des distinctions parmi les membres de l’Ordre, celles-ci étaient fondées exclusivement sur des critères objectifs tels que la différence existant entre frères clercs et frères laïques. S’il a accordé son aide à tous les chrétiens indistinctement, c’est qu’il lui était impossible d’agir autrement à son époque. Si la Religion a réussi à renaître de ses cendres, elle le doit à Gérard dans la mesure où elle a opéré un retour aux sources notamment en abandonnant ses activités militaires et en se consacrant aux déshérités.

            Quelques-uns des successeurs du bienheureux Gérard n’ont eu ni son sens de la mesure, ni sa prévoyance, ni son intelligence et c’est ce qui explique certaines catastrophes et torpeurs de l’Ordre durant certaines périodes de son existence.

            Le 76ème Grand Maître, le Comte Louis Scerri Montaldo, retient que le chemin à parcourir par l’Ordre des Chevaliers de Malte est de continuer de suivre, sans jamais se lasser, les traces de son extraordinaire fondateur et qui permettra de parvenir à retrouver son lustre d’antan.

            Après la mort du fondateur de l’Ordre, le bienheureux Gérard, Raymond du Puy est élu à sa place. Il est Dauphinois, de la grande famille des du Puy-Montbrun. Il est considéré comme le premier Grand Maître de l’Ordre de Saint-Jean. En fait, le terme de Grand Maître ne date que de Rhodes : jusque là, aussi bien pour les hospitaliers que pour les Templiers, on parlera du « maître ».

            Dès environ l’an 1137, l’Ordre se bat jusqu’en 1291 pour assurer la survie des royaumes latins d’Orient. En Palestine, en Syrie, en Egypte, en Arménie, l’Ordre s’affirme, mettant en ligne des troupes bien commandées, entraînées à la guerre en terrains difficiles, le désert, la montagne, habituées à supporter à l’extrême la chaleur, le froid, la faim et la soif. L’Ordre représente vite une des grandes puissances et ses hommes font preuve d’une bravoure incomparable, animés d’un parfait esprit de sacrifice.

             A tout moment, les hospitaliers reçoivent des dons, parfois considérables. Assez rapidement, les hospitaliers étaient devenus les plus gros propriétaires terriens d’Outremer, une puissance presque royale avec laquelle il était indispensable d’être en bons termes.

            Avec les années, l’organisation de l’Ordre s’élabore. Il se recrute et il est doté en Occident aussi bien qu’en Terre Sainte. Devant la multitude des fiefs d’Europe, on est amené à les grouper en grands prieurés, entités administratives bien plus que politiques. Le grand prieuré de Provence est en place dès 1117 ; Le grand prieuré de France est fondé en 1178 ou 1179. La date de fondation du grand prieuré d’Auvergne est postérieure à 1229. La langue d’Italie a dû être formée vers la fin du XII siècle.

            La langue d’Angleterre est créée tout au début du XII siècle avec trois prieurés : Angleterre, Écosse et Galles – tandis que l’Irlande s’y joindra vers 1174. En Écosse, en particulier, l’Ordre s’installe en 1124 à Torpichen. Ce domaine sera le plus important de tout le prieuré. Sa charte de fondation est confirmée par le roi David I. Dès 1100, l’Ordre recevait les terres de Clerkenwell, dans la cité de Londres et allait en faire le siège du grand prieuré d’Angleterre.

            Le grand prieuré d’Allemagne est fondé en 1250 et la langue est instituée en 1422. Le prieuré de Brandebourg se forme vers 1260, celui de Bohême dès 1147, celui de Hongrie vers 1200, celui de Dacie au XIV siècle.

            L’Ordre, pratiquement reconstitué sur de nouvelles bases par Raymond du Puy, doit avoir des statuts plus précis et plus détaillés que durant les premières années de son existence. On distinguait trois catégories d’hospitaliers de Saint-Jean : D’abord les « Chevaliers », puis les « Chapelains Conventuels » (religieux séculiers attachés à l’Ordre pour soigner les malades et servir d’aumôniers au combat – On ne leur demandait pas de preuves de noblesse), et enfin les « Servants d’Armes » qui étaient des Chevaliers Subalternes (sans preuve de noblesse).

            Les membres des trois catégories de l’Ordre ont le droit de porter la croix à huit pointes, insigne de l’Ordre. Les grades de l’Ordre étaient : (1) Chevalier, (2) Commandeur, (3) Bailli, et (4) Grand-Croix.

            L’Ordre Souverain de St. Jean de Jérusalem reste à Jerusalem jusqu’à 1291. Le 5 avril 1291, le nouveau Sultan d’Egypte, El Achraf Khalil, mettait le siège devant Saint-Jean d’Acre. La défense était organisée par les Ordres, avec les deux Grands Maîtres, Jean de Villiers pour les hospitaliers, et Guillaume de Beaujeu pour le Temple. Ils avaient pour base leurs forteresses, 200 à 300 Chevaliers et 4,000 combattants en tout. Les Ordres se couvrirent de gloire mais très peu survécurent  à l’assaut des turques pour faire le récit des opérations. Il y eu 17 Chevaliers survivants : 7 Hospitaliers, 10 Templiers, et pas un seul Teutonique.

C H Y P R E

           Les Hospitaliers survivants, tous blessés, groupés autour du Grand Maître qui se rétablissait lentement, arrivèrent à Chypre. Mais, du point de vue matériel, ils se ressaisirent assez vite : ils avaient des Commanderies à Chypre, Kolossi, en particulier, et Henri de Lusignan leur octroya tout de suite la ville de Limisso (Limassol) comme quartier général : un château avec une bourgade et un bon port. Kolossi allait devenir le centre de la vie des Hospitaliers dans l’île.

            Un nouvel aspect de la situation se révèle : l’attitude de l’Occident vis-à-vis des templiers et le rôle qui appartiendra alors aux hospitaliers de St. Jean. Le rôle des deux Ordres en Terre Sainte avait été à peu près parallèle, ainsi que leurs conceptions religieuses. Il faut souligner que les Chevaliers des deux Ordres n’étaient pas des clercs : on ne le leur demandait pas. On leur demandait seulement de se battre et de mourir pour la Croix, ce qu’ils firent sans jamais hésiter.

LES TEMPLIERS

             Il n’est pas question de reprendre ici l’histoire du procès des Templiers : toutefois, ses conséquences ne peuvent être passées sous silence, car elles touchent directement à l’histoire des hospitaliers de St. Jean.

            On ne sait pas ce qui serait arrivé aux hospitaliers si, comme leurs confrères, ils étaient rentrés en France. Ils préférèrent – vocation ou bons renseignements ? – rester en Orient et se préparer à reprendre la lutte. Les Templiers rentrèrent : ils avaient moins de domaines à Chypre, après avoir vendu l’île, que les hospitaliers et, surtout, ils étaient en mauvais termes avec les Lusignans. Mais cette situation n’avait rien de dramatique, en raison de l’énorme fortune de l’Ordre des Templiers. Ils étaient attirés en Occident par les manifestations flatteuses à leur égard de Philippe le Bel et du Pape : en peu d’années, ce fut le traquenard et la catastrophe.

            Les premières étapes de la lutte contre les Templiers débuta tout de suite après la perte de Saint-Jean d’Acre, le 16 août 1291, le Pape Nicolas V ordonne à l’archevêque de Spalato de chercher un moyen de fondre ensemble le Temple et l’Hôpital, et de faire parvenir son projet au Saint-Siège. Deux jours plus tard, il demandait l’avis de Philippe le Bel. Les deux Ordres refusèrent.

            Quelques années plus tard, Jacques de Molay, Grand Maître du Temple, donnait les raisons de son refus. A partir de ce moment, la lutte contre le Temple suivit son cours : marche tortueuse et lente au début, pour arriver brutalement aux arrestations, aux tortures, au bûcher. Le principal grief, bien entendu, était la fortune en argent liquide de l’Ordre à une époque où le numéraire était rare. Les hospitaliers de St. Jean avaient aussi une fortune considérable, mais elle consistait en majeure partie en terres.

            Par la suite, pour justifier la spoliation de l’Ordre des Templiers, on fabriqua les fameuses accusations d’hérésie, d’idolâtrie et de sodomie. La plus parfaite mauvaise foi avait présidé à toute l’affaire. On avait même osé rendre le Temple responsable de la perte d’Acre, alors que ses Chevaliers avaient été les derniers à tenir, sur les remparts et dans leur château.

            Circonstances aggravantes, les Templiers avaient été les témoins de tout le drame des croisades, de l’abandon dans lequel on avait laissé la Terre Sainte : Les Templiers étaient de dangereux témoins – on entreprit donc de donner tort aux victimes et de les supprimer.

            Le rôle des hospitaliers de St. Jean, dans cette sinistre affaire, semble avoir été loyal. Ils étaient à Chypre, rappelant autour du petit noyau de rescapés les frères restés en Occident, pour rassembler un nouvel effectif et se préparer à reprendre la lutte. Ils semblaient s’être désintéressés des problèmes soulevés en France par les persécutions contre les Templiers.

            Un certain nombre de Templiers qui échappèrent au bûcher entrèrent chez les hospitaliers. Le Pape, probablement honteux du rôle que Philippe le Bel l’avait contraint d’assumer dans la persécution, s’opposa à son complice en attribuant aux hospitaliers de St. Jean les terres des Templiers au lieu de les abandonner aux diverses couronnes. La transmission ne se fit pas sans peine : Philippe le Bel, qui avait mis la main sur l’argent liquide des Templiers, fit les plus grandes difficultés pour rendre les terres. C’est de ce moment que les hospitaliers de St. Jean possédèrent une série de domaines nommés « le Temple de . . . » : le Temple de Paris, le Temple de Laumusse, le Temple d’Ayen, Ivry-le-Temple, le Temple d’Angers, le Temple de la Rochelle, la Neuville au Temple, etc… Beaucoup d’autres Commanderies sont venues de cette source. En 1313 seulement, le roi de France accepte de remettre à Léonard de Tiberti, qui représente l’Ordre, les terres confisquées au Templiers.

            Les mêmes difficultés se produisent ailleurs. En Angleterre, Edouard II interdit toute confiscation par le grand Prieuré d’Angleterre, puis il accepte de remette les domaines, mais de nombreux barons de sa cour se sont servis dans l’intervalle : en Essex, à Lincoln, à York, à Cheriton, ailleurs encore.

            En Écosse, il en va de même et les hospitaliers de St. Jean ne mettent guère la main que sur les terres de Torpichen.

            En Espagne, les rois se servent largement avant de remettre à l’Hôpital ce qui lui revient.

            La Bohême et les principautés italiennes sont plus discrètes. A Chypre même, les hospitaliers de St. Jean n’eurent aucune peine à recevoir les terres confisquées.

            Certains Templiers avaient reçu des titres de pensions du Pape, payable sur les terres et, assez logiquement, c’était l’Hôpital qui devait payer à partir de ses nouveaux domaines. Le Grand Maître refusa net, mais dû finalement y consentir. Quelques Templiers rentrèrent dans le monde et se marièrent. Dans l’ensemble, les hospitaliers de St. Jean s’étaient tirés avec dignité de cette épisode honteuse.

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            De nouveaux prieurés de l’Ordre hospitalier de St. Jean se formaient, grâce aux dons, et la perte des royaumes d’Outremer ne semble pas les avoir freinés. C’est vers cette date que se fondent le grand prieuré d’Aquitaine, à Poitiers, et celui de Champagne, à Dijon. La langue de Portugal est créée en 1310. Le prieuré de Catalogne est créé vers 1319 ; celui de Dacie, qui comprend les pays Scandinaves, date aussi du début du XIV siècle.

            Peu à peu se précise la portée des droits du Grand Maître. Son rôle militaire avait tout primé en Palestine. Désormais, il lui fallait être administrateur et diplomate par surcroît. Ceci lui conférait une bien plus grande indépendance, car il lui fallait souvent aller discuter avec le Pape et les Rois, en Occident. Ses voyages, l’organisation de sa vie privée, de sa suite, ne concernaient que lui seul. Mais, tout le fonctionnement de l’Ordre était réglé par le Conseil qui était une sorte de Parlement qui assistait le Souverain Grand Maître.

            L’installation à Chypre, conséquence de la défaite en Palestine, présentait de graves inconvénients. Limisso se trouvait sur la côte sud, exposée aux razzias égyptiennes. Pendant plusieurs mois, l’Ordre s’interrogea sur la mission qui lui était désormais impartie. Le séjour à Chypre devenait intolérable. Les rapports avec le roi empiraient. L’île était trop petite pour contenir à la fois le souverain et l’Ordre.

            Or, depuis quelques années, l’Ordre avait revêtu une nouvelle physionomie : il était devenu une puissance navale. L’importance de cette transformation est primordiale. En Palestine, il n’avait guère de flotte. A partir de l’installation à Chypre, les Hospitaliers construisirent ou affrétèrent une véritable flotte et, ne pouvant attaquer l’ennemi sur terre, l’assaillirent sur mer avec un succès croissant. C’est de ce moment que l’un des grands dignitaires de l’Ordre prit le titre d’amiral, et il devint l’un des membres les plus importants de l’état-major du Grand Maître.

            Les Chevaliers écumaient les abords de la Syrie et de la Palestine et s’y faisaient redouter des Turcs. Ils devinrent vite d’excellents marins, et les difficiles passes entre les îles n’eurent bientôt plus de secrets pour eux.

            Leur talent naval fut vite connu et apprécié en Occident. En 1294, le Pape Nicolas II invite le Grand Maître à employer ses galères à la défense de l’Arménie, gravement menacée. Les Hospitaliers arment leurs navires sans l’autorisation du roi de Chypre, qui voyait d’un mauvais œil la croissance de la puissance navale de ses hôtes : elle était supérieure à la sienne et appuyée sur des équipages d’élite.

            Cette nouvelle force navale était une source de butin abondant et les Hospitaliers étaient loin de mépriser les soieries, les tapis, les bijoux, les épices, les armes et les esclaves qu’ils pouvaient razzier au cours des opérations navales. A diverses reprises – et ceci jusqu’à la fin de la première période à Malte – on s’indigna de la croissance du luxe chez eux, résultant en grande partie de prises faites en mer.

            Le rôle naval de l’Ordre rendait plus urgent que jamais la nécessité de trouver un autre port que Limisso, dont le rade est mal exposée. Mais il créait une nouvelle cause de frottement car l’Ordre se trouvait maintenant en rivalité avec les deux grandes puissances navales méditerranéennes, Gênes et Venise.

            En 1306, la situation à Chypre devient intenable. L’hostilité du Roi, l’immobilité de Rome, la menace des Infidèles toujours renouvelée, tout exigeait une solution rapide et nette. L’Ordre était trop puissant, trop épris d’action pour garder une attitude subalterne dans un royaume chancelant comme était celui des Lusignans.

            Le choix du Grand Maître était fixé depuis longtemps. Une île voisine de Chypre présentait de grand avantages : Rhodes. Vaste, assez fertile, bien arrosée, pourvue de bons ports, elle était située près de la côte d’Asie Mineure et pas toute proche de Chypre, ce qui permettait d’attaquer les Turcs et d’être hors du rayon d’action des Lusignans.

R H O D E S

            Le débarquement des Chevaliers et quelques troupes sur Rhodes commença aux environs de 1307. Les opérations traînèrent en longueur. La ville était bien défendue. En essaya une transaction avec l’empereur de Byzance, Andronic II Paléologue. Finalement, le gouverneur de Rhodes capitula et la ville ouvrit ses portes aux environs de l’an 1311.

            En 1311, le 24ème Grand Maître de l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, Foulques de Villaret, installa officiellement l’Ordre à Rhodes. Chypre n’avait été qu’un asile temporaire.

         Forteresse terrestre commandant un port, Rhodes pouvait être très forte. Sous l’impulsion du Grand Maître, on se mit à créer les fortifications de la citadelle, sorte de demi-cercle de remparts crénelés, coupé de tours, qui entourait une partie de la ville et les bâtiments conventuels, le palais du Grand Maître, le trésor, les palais des grands officiers, les auberges, un par langue, où vivaient les Chevaliers, l’arsenal et les chantiers de réparation des navires, proches du port. Celui-ci était double, port de guerre et port de commerce. L’île était jalonnée de châteaux très puissants, destinés à barrer la voie à un débarquement turc éventuel.

            L’Ordre, devenu puissance souveraine, se trouvait lancé dans une interminable aventure territoriale, toujours renaissante. Dans l’ensemble, l’Ordre refusait d’intervenir en Grèce contre l’empire Byzantin. Il se devait de rester neutre dans les conflits entre princes chrétiens et il appliquait cette règle même à l’égard des Grecs, scrupule rare à cette date.

            L’Ordre avait arrêté sa ligne d’action : une constante violente offensive navale contre les Turcs. A tout moment la guerre navale reprend. Presque chaque sortie de la flotte de l’Ordre se termine par une victoire.

            En 1344, pour frapper un grand coup, l’Ordre attaque et conquiert Smyrne, importante tête de pont en Asie Mineure, qui servait de base à la marine turque, toujours prête à razzier Rhodes et les îles. La flotte de l’Ordre était commandée par Jean de Blandrath, prieur de Lombardie.

            En 1357, au large de Mégare, l’Ordre remporte encore une grande victoire navale. Désormais, la marine des Hospitaliers est l’une des plus fortes en Méditerranée et la réputation d’audace de ceux qui montent ses vaisseaux est bien établie.

            Cette puissance navale toute neuve et inattendue donne une nouvelle orientation à la vie de l’Ordre.

            Les Chevaliers de l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem sont à l’avant-garde de la construction navale. Ils possèdent le premier cuirassé, la Grande Caraque « Sainte-Anne », énorme navire à six ponts, blindé de plomb – audacieuse innovation. L’équipage est de 300 hommes, qui servent une énorme artillerie. Sa figure de proue est une immense statue de Saint Jean-Baptiste, en bois sculpté, qui se trouve à présent dans l’une des chapelles de Saint-Jean à La Valette, à Malte.

             Avec l’installation de l’Ordre à Rhodes, l’Ordre commence aussi à frapper monnaie. L’une de ses premières pièces représente le Grand Maître Hélion de Villeneuve, la croix de Malte à l’épaule, agenouillé devant un crucifix. Désormais, et jusqu’en 1798, chaque Grand Maître aura ses pièces d’argent et de bronze, parfois d’or.

            Pendant les années de Rhodes s’élabore peu à peu la forme administrative de l’Ordre : elle est très différente de ce qu’elle avait été en Palestine puisque l’Ordre était devenu un gouvernement, tout en restant un organisme militaire et religieux.

            C’est aussi à Rhodes que se précise et se complète la liste et la hiérarchie des grands dignitaires, à qui la défense de l’île incombe.

            Au cours des années, le rôle du Grand Maître varie avec la puissance qu’on lui confère – ou qu’on lui tolère. Dans la plupart des cas, on n’élisait pas à ce poste d’homme à la personnalité de premier plan. Cependant, il fallait bien s’y résigner aux heures graves : Foulques de Villaret, Heredia, Lastic, Philibert de Naillac, Pierre d’Aubusson, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam à Rhodes comptèrent certainement parmi les grandes figures de leur temps. Mais la majorité des Grand Maîtres a été assez effacée et l’on verra des choix analogues durant les années de leur séjour à Malte.

            Le Grand Maître s’entourait de toujours plus de luxe et de pompe; il était  Prince Souverain et son titre religieux ne faisait pas de lui un moine. Cette mise en scène était indispensable en Orient, où le Grand Maître se devait de tenir son rang face à l’empereur Grec et aux Turcs. Devant ceux-ci, il fallait s’imposer par le faste autant que par la force. La règle de l’Ordre n’était certes pas celle de Saint Benoît et pour tous les grands « Seigneurs de Rhodes », il était évident qu’il fallait établir et respecter une étiquette. Lors de ses voyages en Occident, le Grand Maître est l’hôte honoré des Souverains, le Roi de France, le Roi d’Angleterre. Seul Souverain latin au Moyen-Orient, détenteur de la tradition chrétienne face à l’émiettement de Byzance et de la progression musulmane, il devait se poser en très grand Seigneur.

            Le Grand Précepteur ou Grand Commandateur assure le gouvernement de l’Ordre en l’absence du Grand Maître. Son rôle est considérable à Rhodes, les Grand Maîtres faisant alors fréquemment de longs séjours en Occident et plusieurs ayant démissionné. Il sera par la suite le « pilier », ou directeur de l’auberge de Provence.

             Le Grand Hospitalier dirige l’hôpital, ce qui lui assure de grands privilèges, mais aussi des charges. Il est le pilier de la Langue de France.

             Le pilier de la Langue d’Auvergne est le Grand Maréchal, Gouverneur de l’île, dont il doit organiser la défense.

             Le Grand Amiral est pilier de la Lange d’Italie. Son rôle aura une importance toujours croissante, parallèlement à celle de la flotte.

             Le Drapier de l’Ordre est pilier de la Langue d’Aragon. Il veille à l’équipement et à l’habillement des Chevaliers. Ce n’était pas une sinécure, car certains règlements fixaient de manière stricte le style de l’habillement des Chevaliers. Un décret du 34ème Grand Maître, Jean de Lastic, dit ceci : « Il n’est pas permis aux frères, qui ont fait vœu d’obéissance, de vivre à leur fantaisie ; leur soumission doit paraître en toutes choses. C’est pour cela que nous défendons aux frères de se faire des habits courts ou longs sans la permission du grand Conservateur. Si quelqu’un l’entreprend, il s’en plaindra au Maréchal, et celui qu l’aura fait sera puni de la septaine » – sanction qui entraînait les arrêts et les verges.

            Le pilier des Langues de Castille et de Portugal était le Grand Chancelier, qui scellait les actes de l’Ordre. La règle spécifiait que ce grand dignitaire devait savoir lire et écrire, précaution qui remontait aux débuts de l’Ordre, à une époque où bien des grands seigneurs ne possédaient pas ces talents. Le Grand Chancelier devait avoir un assistant car sa tâche était énorme.

            Le Grand Bailli, directeur des fortifications, était le pilier de la Langue d’Allemagne. Celle-ci ne fut jamais très nombreuse, et encore moins après la scission des Chevaliers du grand baillage de Brandebourg. Même après leur rattachement à l’Ordre, la plupart d’entre eux restaient dans les marches de l’Est, ne faisant à Rhodes que les apparitions strictement indispensables.

            Le turcopolier, chef de la cavalerie recrutée dans le pays, était le pilier de la Langue d’Angleterre. Tel avait été du moins son poste en Palestine. Lorsque dans Rhodes, le rôle de la cavalerie avait perdu de son importance, le turcopolier était devenu le chef des flottilles de petits navires légers qui surveillaient les abords de l’île et ravitaillaient les troupes.

            Le maître d’œuvres était l’architecte de l’Ordre, poste important et multiple chez ces grands bâtisseurs.

            Dans l’enceinte des remparts, les Chevaliers vivaient dans les auberges de leur Langue.

            En 1476, le Grand Maître Orsini mourut et Pierre d’Aubusson fut élu 38ème Grand Maître sans opposition ; en lui s’incarnait la volonté de résistance contre les Turcs, et de résistance victorieuse. Il poussa à fond l’armement et le ravitaillement, faisant venir d’Italie 400 cuirasses, d’énormes chaînes pour fermer le port, important du grain, du bétail, tout ce qu’il fallait pour soutenir un siège qui serait certainement rude et long. Il fit déblayer les abords des remparts, abattant pour cela des jardins, des maisons de campagne, même des églises où l’ennemi aurait pu se réfugier. Pratiquant la tactique de la terre brûlée, il fit couper les moissons encore vertes, et indiqua aux habitants le fort ou le bastion où chacun devait se replier dès qu’on aurait aperçu la flotte turque.

            Des membres de l’Ordre avaient rallié Rhodes aussitôt que le Grand Maître avait envoyé l’ «appel en couvent», sorte de mobilisation générale.

            Tout récemment, le Pape avait supprimé les Ordres du Saint-Sépulcre et de Saint-Lazare pour les rattacher aux hospitaliers de St. Jean.

            Mahomet II se préparait à frapper : il construisit 150 navires légers. La flotte turque était commandée par un renégat, le Pacha Misach, né Michel Paléologue, descendant des empereurs, mais qui avait pris le turban à la chute de Constantinople pour sauver sa tête. Cette origine, suspecte à Mahomet, faisait de lui le plus furieux adversaire des chrétiens, et sa cruauté servait son ambition.

            Le 23 avril 1480, on aperçu les voiles turques à l’aube : les 150 navires portant quelques 100 000 hommes avec leur équipement, leur artillerie, leurs machines de guerre. Les espions avaient renseigné Paléologue, et il avait à ses côtés l’Allemand Georg Frappan, bon ingénieur, qui étudiait de près les remparts de l’Ordre. Il ne fallait pas se faire d’illusion :  l’île se battrait jusqu’au bout.

            Les Turcs attaquèrent maintes fois mais les Chevaliers et toute la population réussirent toujours de les repousser après de furieux combats.

            Paléologue était furieux. Son espion allemand, de l’intérieur de la ville, ne pouvait lui fournir aucun renseignement, car on s’était tout de suite défié de lui. Il fallait désormais attaquer de front, en revenant aux tactiques de siège traditionnelles. L’artillerie fut alors pointée sur les remparts, que les Turcs espéraient arriver à démolir à coups de canon. D’Aubusson comprit qu’une brèche allait s’ouvrir sous les coups. Il fit donc démolir quelques maisons du ghetto et dresser en hâte une seconde muraille, doublée d’un fossé, en arrière de la première. Quand l’assaut vint, les Turcs furent accueillis de telle manière que, franchie la première brèche, ils ne purent prendre pied nulle part sur la muraille élevé en hâte.

            Le combat dura toute la nuit, et au jour, on pu estimer les dégâts. Les Turcs avaient perdu quelque 2 500 hommes. Les Chevaliers comptaient de nombreux blessés et 12 morts. Tout se termina par la poursuite acharnée des derniers éléments qui tentaient de se rembarquer. L’attaque était menée par le Chevalier Médéric du Puy et un franciscain, Fradin, qui poursuivit les Turcs jusque dans la mer. Parmi les morts se trouvait le petit-fils par alliance de Mahomet II.

            L’attaque de la muraille reprit et l’artillerie attaqua encore trois autres points du rempart : 3 500 boulets, des sapes, des décharges de catapultes. Ce fut le moment que l’espion allemand, Frappan, se trahit. Mené au rempart par son escorte, et invité à donner son avis sur la défense, il fit déplacer une batterie ; l’on s’aperçut vite que le nouvel emplacement était choisi pour attirer les coups sur un secteur faible et aussi pour donner un signal. Interrogé et mis à la question, il avoua qu’il avait été envoyé par Mahomet II pour le renseigner. Il fut rapidement pendu. Une aventure semblable est attribuée à un Italien, Giorio.

             Le 27 juillet 1480,  Paléologue tenta une ultime grande attaque lançant 40 000 hommes sur les remparts. Des femmes, vêtues en hommes, se joignaient aux défenseurs, pour ne pas risquer de tomber vivantes aux mains des Turcs. De nouveau, les Chevaliers firent preuve de farouche courage et réussirent à repousser les Turcs.

            C’était la fin du siège. Paléologue demanda l’état des pertes : une catastrophe. Il organisa la retraite et l’évacuation de ses troupes, devant faire face à un triple danger : les Chevaliers, une flotte hispano-napolitaine qu’on signalait, l’effroyable réception à laquelle il devait s’attendre à Constantinople. Aussi, l’amiral Turc avait été tué pendant l’action. Son retour en Turquie fut lamentable. Il échappa de justesse à une sentence de mort, et fut exilé par Mahomet II à Gallipoli.

            Le Grand Maître de l’Ordre, Pierre d’Aubusson, combla de faveurs les Chevaliers et les habitants de Rhodes. Il fut mandé à Rome, reçu par le Pape avec des honneurs royaux. Le danger était écarté pour un certain temps.

            Mahomet II, après des explosions de rage, avait décidé de reprendre le commandement en personne et de régler une fois pour toutes le sort de Rhodes. Il  rassemblait 300 000 hommes quand il mourut subitement, en 1481, dans une petite ville d’Anatolie, Teggiar Tzair. On grava sur sa tombe :

JE ME PROPOSAIS DE CONQUÉRIR RHODES

ET DE SUBJUGUER LA SUPERBE ITALIE.

            En 1512, Guy de Blanchefort, neveu de Pierre d’Aubusson, était élu 40ème Grand Maître de l’Ordre. Il s’embarqua pour Rhodes en 1513, mais il était malade et il mourut en mer, à la hauteur de Zante.

            En ce temps, un Chevalier commençait à se faire une réputation de remarquable marin : Philippe de Villiers de L’Isle-Adam, de la Langue de France. Il commandait la marine de l’Ordre et avait remporté une grande victoire navale détruisant au mouillage une flotte égyptienne chargée de bois pour les constructions du Sultan. Par surcroît, on avait fait un butin considérable. Peu après, L’Isle-Adam était envoyé en Ambassadeur auprès de Louis XII.

            En 1520, à la mort du  Sultan Sélim, son fils unique Soliman lui succéda. Soliman reprit le projet et toutes les préparations pour attaquer Rhodes. Soliman était intelligent, brave et relativement loyal, avec le sens de la justice et de l’équité : l’un des plus grands souverains de la dynastie ottomane.

            Aussi, en 1520, le 41ème Grand Maître de l’Ordre, Fabricius Carretto,  mourait et la nouvelle élection vit s’affronter L’Isle-Adam et André d’Amaral, de la Langue de Portugal, Chancelier de l’Ordre et Grand Prieur de Castille. Il était déjà le rival de L’Isle-Adam sur mer. Ce dernier, qui se trouvait alors en France, fut élu 42ème Grand Maître à l’unanimité, à l’immense fureur de d’Amaral. L’on prétendit que c’est de ce jour-là qu’il médita et prépara sa trahison, se mettant en rapport avec Soliman pour lui livrer Rhodes.

            Le 24 juin 1522, l’avant-garde turque arrive devant Rhodes : elle comporte250 navires, 200 000 combattants, dont 18 000 janissaires et 60 000 pionniers. L’armée était, de toute manière, considérable.

            L’Isle-Adam avait entre les mains, sans plus : 600 Chevaliers et 6 000 hommes. Le Grand Maître fait appel à tout ce qui pouvait porter les armes à Rhodes. Une fois de plus, les femmes se distinguèrent.

            Ce fut de nouveau une guerre de sapes et de catapultes. Les Turcs élevèrent plusieurs machines de siège, assez hautes pour tirer par-dessus les remparts à l’intérieur de la place.

            Un assaut général fut lancé le 24 septembre 1522, après une furieuse préparation d’artillerie. Ce fut une mêlée d’ouragan, déferlant partout pendant quarante-huit heures. L’architecte militaire italien Chev. Gabriele Martinengo surveillant l’état des fortifications, dirigeant les réparations urgentes, était partout à la fois et fut grièvement blessé à la tête.

            Après ces deux jours de combats incessants, Soliman, lassé, allait donner l’ordre d’abandonner quand de d’Amaral l’avertit que les défenseurs étaient à bout de force : le message avait été envoyé au moyen d’une flèche tirée du rempart par un valet de d’Amaral. Il fut observé, suivi et arrêté. Il dénonça son maître. D’Amaral nia tout et continua à nier sous la torture, n’avouant que sa jalousie du Grand Maître. Il fut condamné à mort et marcha au supplice avec une indifférence hautaine. Son exécution ne changea pas le cours des événements.

            Le Grand Maître espérait l’aide de Venise, qui avait une escadre à Candie : rien ne vint. Venise se gardait bien de secourir les adversaires des Turcs. Des vaisseaux anglais et espagnols furent repoussés par la flotte turque.

            Les assauts généraux des Turcs se renouvelaient et la population civile commençait à murmurer. Les Grecs s’insurgeaient contre le sort qui les attendait si l’ennemi emportait la ville d’assaut. Ils envoyèrent leur métropolite à L’Isle-Adam pour le prier de négocier, lui représentant les ravages et les massacres qui ne manqueraient pas de se produire. Cette démarche n’eut aucun succès. L’Isle-Adam refusa toute suggestion de capitulation.

             Les assauts se répétèrent, toujours plus meurtriers. La population abandonnait l’Ordre : les Chevaliers tenter de sauver leurs familles. L’Isle-Adam consulta le Conseil et surtout Martinengo et Prigent de Bidoux, dont le courage était au-dessus de tout éloge. Eux aussi estimèrent qu’il n’y avait plus rien à tenter.

            Le Grand Maître fit sauter les églises pour qu’elles ne fussent pas profanées, puis envoya le Chevalier Petrucci faire savoir à Soliman qu’il acceptait de négocier sur une base qui garantirait la vie et les biens des défenseurs et des habitants de Rhodes.

            Soliman accepta l’offre du Grand Maître, et « promit d’observer inviolablement tout le traité et commanda qu’on en expédiât les lettres, qui contenaient que les églises ne seraient pas profanées, qu’on ne prendrait point d’enfant de tribut pour les janissaires, que les chrétiens auraient libre exercice de leur religion, que les habitants seraient exempts de toute charge pour 5 ans, que qui voudrait pourrait s’en aller dès 3 ans avec ses meubles en toute sûreté, que Soliman fournirait à tous ceux de l’Ordre de ses vaisseaux suffisants pour passer tout en Candie, qu’ils emporteraient leur artillerie tant qu’ils en pourraient charger, qu’ils partiraient dans les 12 jours, que le château de Saint-Pierre, Lango et les autres îles et forteresses seraient rendues à Soliman ».

            Le Sultan avait accepté en raison des pertes effroyables subies par son armée, entièrement hors de proportion avec le nombre des ennemis qui les avaient infligées. Il fit retirer ses troupes à quelque distance des murs pour éviter les incidents et n’envoya que 400 janissaires avec leur aga pour prendre possession de Rhodes. Grand soldat lui-même, il avait admiré la superbe défense de L’Isle-Adam et son attitude au moment de la capitulation.

            Les deux adversaires étaient à bout de force, et Soliman, au fond, n’était pas très sûr que nul renfort ne viendrait au secours de l’Ordre : autant faire vite. Il surestimait le dévouement de l’Occident : aucun renfort ne se présenta jamais. L’Ordre avait été abandonné avec une sereine indifférence.

            La capitulation fut prête le jour de Noël 1522, une fois les textes rédigés, et L’Isle-Adam vint au quartier général de Soliman pour les signer. Le Grand Maître et son escorte furent reçus et Soliman fit remettre aux Chevaliers des robes d’apparat magnifiques et les accueillit avec une grande courtoisie, leur faisant dire par son interprète que « la conquête ou la perte des empires étaient des jeux ordinaires de la fortune ».

            Soliman essaya d’attirer à lui L’Isle-Adam en lui offrant toutes les charges ou les dignités qu’il souhaiterait dans son empire. Le Grand Maître remercia le plus poliment possible, ajoutant que toute considération de ce genre était hors de question et qu’il faudrait s’en tenir aux termes du traité. Soliman jura une fois de plus que sa parole était inviolable.

            Dans l’ensemble, elle l’était. Il est probable que le Sultan ne fut pas responsable des désordres qui se produisirent cinq jours plus tard, quand un groupe de janissaires envahit soudain des maisons, pillant, violant, saccageant les églises. Ils dévastèrent l’hôpital, chassèrent les malades et les blessés, volèrent l’argenterie. Ils menaçaient le palais du Grand Maître, quand ce dernier alla se plaindre à l’un des chefs, qui fit immédiatement savoir à l’aga des janissaires qu’il le rendait personnellement responsable des désordres. Tout se calma.

            Plus tard, Soliman parcourut la ville, demanda à être reçu par le Grand Maître. Il fut une fois de plus d’une amabilité exquise, et pria L’Isle-Adam de prendre tout son temps pour préparer son embarquement : si les douze jours ne lui suffisaient pas, le délai serait prolongé. En sortant du palais, il aurait dit à l’un de ses officiers : « Ce n’est pas sans peine que j’oblige ce chrétien, à son âge, à sortir de sa maison ».

            En fait, L’Isle-Adam et les siens durent partir en toute hâte : Soliman allait rentrer à Constantinople, et les Chevaliers estimèrent qu’il serait dangereux de rester dans l’île après son départ, exposés à toutes les avanies de ses subalternes. Ceux-ci faisaient rechercher et réduire en esclavage les Turcs de Rhodes qui s’étaient faits chrétiens, ne les admettant pas aux termes de la capitulation.

            L’évacuation définitive eut lieu le 1er janvier 1523. Une cinquantaine de navires emmenèrent les vaincus. En dehors des Chevaliers, de leurs troupes, des blessés du siège, 4 000 à 5 000 Rhodiens s’embarquaient, abandonnant presque tous leurs biens pour ne pas rester à la merci des Turcs.

            Le Grand Maître et les grands dignitaires de l’Ordre étaient à bord de la Grande Caraque, l’énorme voilier ayant la statue de Saint Jean-Baptiste à la proue. La flotte cingla vers Candie.

            Il leur fallut de sept à dix jours pour atteindre l’île, à travers l’une des dures bourrasques d’hiver de la Méditerranée orientale. Quelques vaisseaux trop chargés coulèrent, mais on pu sauver les passagers. La Caraque manqua de s’échouer. Finalement, la flotte se rallia peu à peu dans les ports de Crète.

            L’accueil du Duc, qui représentait Venise, fut chaleureux. Le Grand Maître de L’Isle-Adam, par contre, se montra froid : il ne pardonnait pas à Venise son inertie. Puis il fallut remettre de l’ordre et voir où on en était. Certains des réfugiés étaient dans un état pitoyable.

            Quelques jours plus tard arrivèrent l’archevêque latin de Rhodes, quelques gentilshommes grecs ou latins, chassés par Soliman au mépris du traité. Ils apprirent au Grand Maître l’assassinat du fils et des petits-fils du Prince Zizim (fils de Mahomet II, convertit au christianisme,  qui vivait à Rhodes), et la défection du vice-chancelier Barthélémy Politian, resté à Rhodes pour sauver ses biens, sans succès d’ailleurs car il fut chassé peu après. Le Conseil de l’Ordre le destitua et procéda au remplacement des morts. Chev. Martinengo, en récompense de ses immenses services, reçut le Prieuré de Pise.

            Puis, regroupant son monde, au mois de mars 1523, le Grand Maître de L’Isle-Adam partit pour Messine.

            En Europe, on avait d’abord cru Rhodes sauvée et les Turcs chassés. Puis, on avait compris que le siège continuait. Le 18 février 1523, Winfield écrivait aux Cardinal Wolsey la nouvelle de la capitulation, et Campeggio deux jours plus tard, confirmait la nouvelle en se lamentant : la prochaine île attaquée serait la Sicile.

            C’était en effet très probable que les Turcs auraient visés d’attaquer la Sicile pour ensuite continuer de prendre l’Europe en tenaille par sa partie sud. Il aurait fallu y penser plus tôt et agir en conséquence.

            Le 28 février 1523, on ne savait pas encore, d’après une lettre à Wolsey, où s’était rendu le 42ème Grand Maître L’Isle-Adam après son départ de Rhodes. On supposait, toutefois, qu’il était à Candie et on se demandait quelle allait être son attitude après le désastre à Rhodes.

            La chute de Rhodes liquidait définitivement les croisades, et la mollesse, l’indifférence de l’Occident étaient responsables de la défaite. Comme en 1291, on avait voulu ignorer le drame qui se jouait, et on avait précipité la chute.

            On n’a guère compris en Europe ce que représentait l’Ordre et la partie qu’il jouait dans son île lointaine. Peut-être cet Ordre international, aux traditions médiévales, n’excitait-il aucune émotion.

            Seul, semble-t-il, un auteur anonyme anglais dans “ The Beginning and Foundation of the Holy Hospital of the Order of the Knights of St. John of Jerusalem”, publié en 1524, écrit en guise de conclusion:

            «  Va, petit livre, et porte à tous les États ta plainte douloureuse du terrible siège de Rhodes, et de ce soudain changement. »

            Et, Brantôme, dans ses « Hommes illustres et Grands Capitaines Français » :

            « Ainsi se perdit cette belle île et ville de Rhodes, dis-je, qui servait de rempart à toute la chrétienté et de terreur à toute la Turquie ; si que quand Soliman en fit l’entreprise, tous ses Pachas et ses capitaines de guerre l’en détournèrent tout ce qu’ils purent, et lui remontrèrent de grands inconvénients, les fondant sur le siège passé qu’y mit Mahomet son bisaïeul où il ne reçut que de la honte et de la perte, même ses janissaires commencèrent à murmurer quand ils virent qu’il les menait là, tant ils eurent d’appréhension de mal sur l’exemple du passé… Si continua-t-il toujours le siège, par l’amour que son père lui avait recommandé à sa mort la prise de cette place et de Belgrade, de lesquelles il avait dessein, et y allait à toutes sans sa mort. Si bien que ce jeune prince, tout courageux et ambitieux, et ne voulant nullement dégénérer à ses prédécesseurs qui avaient été si grands conquérants Sultan Mahomet, Sultan Bajazet et Sultan Sélim, il conquit ces deux belles places. Belgrade par son général et Rhodes lui en personne…. Après qu’ils eurent fait mourir là devant 104 000 Turcs, dont il y en avait de coups de main 64 000 et le reste de peine, de misère et de maladie… ».

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            Le Pape et les puissances d’Occident ne se souciaient guère de ce qui s’était passé à Rhodes. Le Pape était en train d’organiser avec Henry VIII et Charles-Quint une ligue contre François Ier. Les rois de Portugal et d’Angleterre estimaient l’Ordre moribond et commençaient à confisquer ses biens au profit de la Couronne. Pour Henry VIII, c’était l’une des étapes de la longue et sinueuse marche qui allait le mener à la rupture avec Rome. Puis les alliés se brouillent et, en 1527, Rome est assiégée par le connétable de Bourbon pour le compte de Charles-Quint. Dans ce guêpier, on comprend l’indifférence témoignée à l’Ordre.

            En Sicile, L’Isle-Adam avait repris contact avec une série de Chevaliers qui n’avaient pas répondu à son appel en couvent. Il y aurait eu là des forces très suffisantes pour faire lever le siège de Rhodes. On expliqua au Grand Maître pour quelles raisons, bonnes ou mauvaises, il avait été impossible de partir : Le temps, en automne, est généralement mauvais en Méditerranée orientale, et les flottes auraient couru un grand et réel danger. Les princes n’avaient pas facilité l’approvisionnement et l’armement ; et il fallait une escadre puissante pour forcer le blocus Turc.

            Charles-Quint avait compris l’utilité des hospitaliers s’il parvenait à les attirer dans son orbite. Le projet de reconquête de Rhodes ne l’intéressait pas et l’inquiétait plutôt. Il offrit au contraire au Grand Maître une île plus proche et quelques territoires :  Malte, Gozo et les terres entourant Tripoli. Son but était clair : se décharger sur l’Ordre de la défense des confins maritimes de l’Espagne à l’est. Le Grand Maître remercia poliment, sans enthousiasme. Mais Malte avait de grands inconvénients et peu d’attraits.

            Son étape suivante fut l’Angleterre. Le 28 janvier 1526, il écrivait à Henry VIII qu’il avait obtenu des assurances de la reine de Portugal au sujet de la réinstallation de l’Ordre dans ses domaines, et il lui en demandait autant.

            Le Grand Maître décida d’aller en personne en Angleterre. Le Pape écrivit à Wolsey que L’Isle-Adam partait pour Calais en vue d’obtenir de l’argent, et il lui demanda son appui, car il était de nouveau interdit d’exporter des capitaux d’Angleterre.

            En 1528, le Grand Maître est en Angleterre : il voit le roi, Wolsey, le grand Prieur, Sir William Weston – l’un des défenseurs de Rhodes, et il obtient que les mesures de confiscation soient rapportées. Il pose quelques vagues questions au sujet d’une installation possible dans l’île de Wight : idée curieuse, car il aurait été au bout du monde pour faire la guerre aux Turcs.

            Le 2 juin 1528, William Gonson annonce au roi qu’il a raccompagné le Grand Maître de Douvres à Boulogne, en lui rendant tous les honneurs qui lui étaient dus…et il réclame le remboursement de ses frais.

            Le 7 août 1528, L’Isle-Adam remercie Wolsey pour l’accueil qu’il a eu en Angleterre. A Paris, il rencontre François Ier rentré d’Espagne, entrevue difficile à  obtenir et très brève. Il part ensuite pour Nice où l’Ordre a une Commanderie.

            Le Grand Maître, après son retour à Viterbe, négocie à droite et à gauche pour obtenir un territoire indépendant. On parle successivement de Minorque, de l’île d’Elbe, des îles d’Hyères, de Cérigo, l’ancienne Cythére, qui appartient à Venise, on discute, on n’avance guère, car peu de souverains se soucient réellement du sort de l’Ordre.

            La situation politique est sombre, la situation religieuse se complique de jour en jour. Le Grand Maître veut aboutir. Son Ordre ne vivra et ne sera respecté que dans la mesure où il sera indépendant de ses ennemis et aussi de ses amis – ou de ceux qui se disent. L’Isle-Adam a compris la jungle européenne, où les négociations sont aussi épineuses, aussi dangereuses qu’avec les Turcs.

            Finalement, devant l’impossibilité de trouver mieux, il accepte l’offre que Charles-Quint a renouvelée : Malte, Gozo, Tripoli. L’acte est signé le 24 mars 1530 et l’original se trouve aux archives de La Valette, à Malte : « …sans être obligés à autre chose qu’à donner tous les ans au jour de la Toussaint un faucon … en signe qu’ils reconnaissent tenir de nous en fief lesdites îles… ».

            Une nouvelle complication survenait, portant un coup redoutable à l’Ordre : la Réforme. C’est entre 1520 et 1530, dans l’ensemble, que les positions commencent à se durcir et à s’affirmer. La situation matérielle de l’Ordre est gravement atteinte. La Scandinavie avait depuis longtemps manifesté une mauvaise volonté, séculière et non religieuse. Le passage des trois royaumes à la Réforme de Luther liquide la situation et supprime tout espoir de retrouver les Commanderies de Dacie.

            Par la suite, il faudra aussi endurer la perte des Commanderies des Pays-Bas, après la révolte contre l’Espagne menée par Guillaume de Nassau.

            En Allemagne et en Suisse, une série de domaines qui se trouvaient dans les pays qui passent à la Réforme sont sécularisés.

            Chez les Chevaliers Français, l’influence de la Réforme se fait sentir ; plusieurs se font protestants : Robert de Porcellet, Jean-Jacques de Goulaine, tué à la Saint-Barthélémy avec La Rochefoucauld, d’autres encore.

            Tandis que l’allégeance du grand baillage de Brandebourg glissait vers les princes allemands, et qui allait être un problème relevant de la politique internationale, que ne devaient régler que les traités d’Augsbourg et de Westphalie.

            Parallèlement, à l’évolution en Allemagne, un changement se produit en Suisse. La Commanderie de Bubikon, près de Zurich, qui relève de la langue d’Allemagne, a pour Prieur, en 1522 le chroniqueur Johann Stumpf. Il embrasse la Réforme en 1525, devient l’ami, le disciple, puis le biographe de Zwingli. Il installe le culte protestant à Bubikon, et le canton de Zurich sécularise les domaines de l’Ordre, mais lui rend Bubikon en 1528, à condition que les biens soient administrés par des fermiers protestants. La même solution devait être adoptée en Alsace, quand Mulhouse et Colmar, où la Commanderie d’Alsace avait des domaines, passent à la Réforme.

            En Angleterre, la situation de l’Ordre se détériorait rapidement. Henry VIII, malgré ses promesses au Grand Maître de l’Ordre, saisissait des biens de l’Ordre – sa situation à l’égard de Rome s’était durcie. En 1540, l’Ordre est supprimé par un acte du Parlement, pour avoir refusé son allégeance au roi en tant que chef de l’Église anglicane. Les biens furent confisqués et, le jour où la mesure prenait effet, le Grand Prieur, Sir William Weston, mourait, de désespoir sans doute. Des Chevaliers furent envoyés servir à Calais, contrairement aux privilèges de l’Ordre, et cinq d’entre eux, dont Sir Adrian Fortescue, Sir Thomas Dingley et Sir David Gunstone, furent exécutés pour lèse-majesté , pour avoir refusé de reconnaître la suprématie religieuse du roi. Sir Adrian Fortescue fut béatifié par la suite. Il n’était pas Chevalier profès, étant marié, et même deux fois. Plusieurs Chevaliers partirent pour Malte.

            Aussi en Angleterre, les biens de l’Ordre, comme ceux des abbayes, furent vendus ou donnés, et Clerkenwell devait appartenir à un certain moment au “ Master of the Revels” (« directeur des menus plaisirs de la cour ») : ainsi par un destin étrange, cette demeure fut le témoin des représentations de Shakespeare et de Marlowe devant la cour.

            En 1560, la reine Elizabeth confisqua les biens de l’Ordre sans toutefois le supprimer.

            En Écosse, la situation de l’Ordre, bien qu’il s’agit d’un royaume indépendant, fut analogue. Le grand Prieur d’Écosse, depuis 1547, était Sir James Sandilands, et il avait adhéré à la Réforme.

            Ainsi, au moment où l’Ordre, sans grand enthousiasme, acceptait le don de Charles-Quint, la situation était loin d’être rassurante.

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M A L T E

            Comparée à Rhodes, Malte était loin d’être un endroit d’élection. L’île était un étrange lieu de croisement de races et de civilisations, à l’extrême marge des unes et des autres.

            En 1091, l’île est reconquise par Roger de Hauteville, l’un des princes normands de Sicile et, de ce moment, Malte et son archipel suivent le sort de la grande île. Elle est successivement sous la suzeraineté des Guiscard, des Hohenstauffen, des Angevins, des Aragonais. C’est par cette voie que Charles V s’en trouvait le suzerain en 1530.

            L’île doit sa vie à la mer. Les Maltais sont marins, pêcheurs, pirates. Malte est un bloc de calcaire doré, entaillé de rades, de baies, de calanques. La grande rade du nord de l’île est l’une des plus belles de la Méditerranée et elle déterminera la vie de l’Ordre. En dehors de ce double port en forme de feuille de platane, une série de baies offrent de bons mouillages, bien abrités des vents qui tournent sans cesse autour de l’île. Le climat est doux, humide, d’une humidité qui pénètre bien qu’il ne fasse jamais très froid.

            Au moment où l’Ordre s’installe, la seule ville importante est la capitale, Mdina, Città Notabile, au centre de l’île, sur le plateau.

            En 1530, l’île est peu peuplée : à peu près 30,000 habitants. Tel est le cadre dans lequel va maintenant s’intégrer la vie de l’Ordre.

            Le 26 octobre 1530, le 42ème  Grand Maître, Philipe de Villiers de L’Isle-Adam, aborde au Bourg avec les Chevaliers sur des navires, dont certains – la Grande Caraque en particulier – avaient assuré l’évacuation de Rhodes. Ils apportaient quelques souvenirs de Rhodes : la figure de proue de Saint Jean-Baptiste, l’icône de Notre-Dame de Philermos, un petit orgue peint et doré, divers objets d’art des églises et des auberges.

            Le Grand Maître et les dignitaires furent solennellement accueillis par les personnages officiels maltais, reçurent leur serment d’allégeance et étudièrent la situation de près.

            La situation de Malte, au cœur de la Méditerranée était primordiale : c’en était en quelque sorte le verrou. Une marine puissante installée à Malte pouvait gêner de manière redoutable les incursions turques et barbaresques. Mais il fallait une escadre importante et bien armée et une base terrestre très puissante, avec un énorme système défensif.

            Gozo, petite île au nord-est de Malte, était un danger plutôt qu’un appui : peu de ports et la nécessité de la fortifier pour éviter qu’elle ne tombe entre les mains de l’ennemi et ne fournisse une base pour un débarquement.

            Tripoli ne pouvait être qu’une source d’ennuis pour le moins. La vie était assez loin de Malte, au bord d’un arrière-pays stérile et hostile. Ce n’était qu’une inquiétante tête de pont.

            Une autre possibilité se présentait. Jamais Villiers de L’Isle-Adam n’avait pensé que Rhodes fût perdue de manière définitive. Il espérait toujours pouvoir rentrer en vainqueur dans son ancienne forteresse. Ce n’était qu’une chimère.

            L’un des résultats de cette politique d’attente fut la petite quantité de travaux entrepris à Malte. Evidemment, il fallait loger l’Ordre. Une ville s’imposait, le Bourg, dominant le port et protégé par les trois anciennes forteresses. On élève les auberges des diverses langues, le palais du Grand Maître. Les constructions ne sont pas très vastes : on comptait dans l’ensemble 300 Chevaliers et une centaine de servants d’armes, chapelains conventuels. Etc. Les forts sont restaurés, les fortifications développées, renforcées.

            Dans l’île, l’Ordre se met en devoir de prendre la haute main sur toute l’administration, ce qui ne va pas sans créer de violentes frictions avec les Maltais. Les Maltais estimaient que leur cession à l’Ordre était contraire aux privilèges que Charles-Quint leur avait solennellement jurés.

            De plus, la proximité de l’Ordre et le nombre des Chevaliers rendait le gouvernement beaucoup plus oppressif aux Maltais que la lointaine domination de l’Espagne. En revanche, le ravitaillement de l’île était beaucoup plus régulier que par le passé. Du point de vue commercial, l’arrivée des Chevaliers avait apporté une notable amélioration et de l’argent neuf.

            De toutes manières, l’Ordre tenait à s’imposer comme souverain, et non comme vassal du roi d’Aragon.

            Tout en espérant reprendre Rhodes, l’Ordre recommençait à imposer la présence de sa flotte dans le Proche-Orient. Dès 1532, la Grande Caraque faisait la course dans les eaux turques, en compagnie des navires de Chypre.

            L’Ordre fit une tentative pour débarquer à Modon et on pensait en cas de victoire s’installer dans la ville conquise, d’où l’on aurait été à même de frapper de près et à coup sûr. Mais, après un début foudroyant, le débarquement échoua et il fallut tout le talent tout le talent militaire de l’Ordre pour opérer le décrochage ; ce fut pour le moment la fin des entreprises du côté de la Grèce. Mais le souvenir de Rhodes hanta l’esprit de Villiers de L’Isle-Adam jusqu’à sa mort.

            Villiers de L’Isle-Adam mourut en 1534, il fut enterré à San Lorenzo, à Malte, sous une dalle portant ces mots :

C’EST ICI QUE REPOSE LA VERTU VICTORIEUSE DE LA FORTUNE.

            L’Ordre, à peine installé à Malte, devait reprendre la lutte. L’adversaire principal était Barberousse, roi d’Alger, puis de Tunis en 1534. Il était extrêmement dangereux, rusé et d’une énergie invincible.

            En 1534, Barberousse avait fait une descente sur les côtes d’Italie et tenté d’enlever Julie de Gonzague à Fondi, près de Naples. Elle s’était enfuie de justesse et Barberousse s’était vengé en mettant la ville à sac.

            En 1534, le 43ème Grand Maître, Pietro del Monte – qui fut le successeur de L’Isle-Adam – mourait et on élisait à sa place Didier de Saint-Jaille, un Français qui mourut en 1535 avant d’être arrivé à Malte.

            En 1535, une nouvelle élection désigna un Espagnol, Juan d’Homédès comme 45ème Grand Maître de l’Ordre.

            Les entreprises navales de l’Ordre ne se ralentissaient pas. Sur l’autre rive, Barberousse attaquait de nouveau.

           En 1541, Charles-Quint décide d’attaquer Alger et il demande encore l’aide de l’Ordre. Tous les experts, et en particulier Andrea Doria, avaient recommandé de partir en été. Mais,  on embarque vers la fin d’octobre 1541, une période de tempêtes et de bourrasques. Le débarquement eut lieu dans les pires conditions. Les troupes italiennes étaient mauvaises et tout le poids de l’attaque retomba sur le détachement de Malte. Les Chevaliers devaient combattre à un contre dix et plus. A ce moment se leva une furieuse tempête qui coula de nombreux vaisseaux, en particulier, celui sur lequel se trouvaient les archives de Charles-Quint. Finalement, Charles-Quint voyant l’opération manquée, ordonna le rembarquement. Des quatre galères de Malte, trois étaient en très mauvais état et eurent les plus grandes difficultés à rallier l’île sous la tempête.

            Un des Chevaliers qui pris part à l’attaque d’Alger, le Français Villegagnon, blessé dans l’affaire, n’était pas rentré à Malte. Il était parti pour Rome pour se faire soigner et, de là, il adressa à l’ambassadeur de France, le Cardinal du Bellay, une furieuse diatribe en impeccable latin, exposant le point de vue de l’Ordre sur l’opération qui venait d’échouer : d’Homédès était, selon lui, un personnage douteux, à tout le moins avare et intéressé, et l’Ordre l’accusait d’avoir détourné des fonds qui auraient dû servir à l’armement

            Le Grand Maître, d’Homédès, avait aussi affiché la plus parfaite indifférence aux protestations des Chevaliers et refusé de faire fortifier l’île de Gozo. Gozo fut razziée par Dragut, l’amiral turc qui allait être l’un des plus furieux adversaires de l’Ordre. D’Homédès avait même refusé de faire évacuer les femmes et les enfants à temps, et la population avait été amenée en esclavage.

            Les Barbaresques, sous le commandement de Barberousse, menaient une incessante guerre de course en Méditerranée, saccageant Nice, l’île d’Elbe, Ischia, et l’on pensait que le tour de Malte viendrait bientôt.

            La situation des Chevaliers à Tripoli se rendait intenable. Ils demandèrent aide et assistance à Charles-Quint. Après le secours qu’il avait reçu de Malte à Tunis et à Alger, on pouvait espérer qu’il enverrait des renforts et de l’armement à Tripoli : il n’en fit rien. Puis, la garnison refusa de prolonger la défense et la population appelait les Turcs à grands cris. Il fallu finalement capituler dans les pires conditions devant la menace de l’escadre de Dragut.

            De retour à Malte, les rescapés de Tripoli dénoncèrent une fois de plus, et avec une violence accrue, l’incurie du Grand Maître d’Homédès. Il n’avait rien fait pour venir au secours de la garnison sacrifiée et il continuait sa politique d’immobilité, qu’on n’a jamais réussi à expliquer.

            Villegagnon, qui s’était joint à ses frères Chevaliers pour la défense de Tripoli, écrivit une lettre vengeresse contre d’Homèdés qui fut largement diffusée. Après ce coup d’éclat, le séjour de Malte n’était pas recommandé : il partit. En 1548, Villegagnon était en Écosse, commandant de la « Réale », qui amenait des troupes à la régente Marie de Guise et qui ramena en France la petite reine Mary, fiancée au dauphin François. Il retourna de nouveau en Écosse et se battit autour d’Edimbourg et de Haddington.  Ensuite, le Chevalier Villegagnon entreprit d’autres bravades dans divers pays et même en Amérique du Sud. Finalement, il réintégra l’Ordre de Malte, sans toutefois retourner dans l’île.

            D’Homédès mourut en 1553. On constata que des legs énormes allaient à ses neveux espagnols, tandis que l’Ordre ne recevait rien. On faillit lui refuser des funérailles officielles.

            En 1556, durant le règne du 46ème Grand Maître, Claude de La Sengle, Philippe II,  avait envoyé à Malte un ambassadeur pour tenter par tous les moyens de resserrer le lien qui unissait l’Ordre à l’Espagne. L’ambassadeur, après avoir adressé des condoléances au Grand Maître sur les pertes subies, Rhodes et Tripoli, offrit en compensation le territoire de Mahédia, récemment conquis par l’Espagne.

            Le Grand Maître envoya une commission étudier la question sur place. Le rapport fut net : le territoire était riche, prospère et bien arrosée, il était possible d’en tirer parti, mais c’était une base avancée en pays ennemi. Pour le conserver, l »ordre devrait utiliser au maximum l’ensemble de ses forces militaires, renonçant ainsi à tout autre objectif. C’était impossible : le Grand Maître de La Sengle refusa l’offre du roi d’Espagne.

            En 1560, Il se laissa pourtant entraîner à accepter de participer à l’attaque de l’île de Djerba par Philippe II. On parvint à s’emparer de la forteresse de l’île, mais une tempête détruisit une série de navires, et peu après, Dragut arrivait devant Djerba. Il assiégea le château d’avril à juillet et finit par le prendre, malgré une héroïque résistance.

            L’effet moral était considérable. Les Turcs, après tant de victoires sur l’Ordre, étaient certains que son ancienne puissance militaire n’avait pas survécu au premier siège de Rhodes. La chute de Malte n’était plus, semblait-il, qu’une question de temps. Une escadre puissante devait en avoir raison sans grandes difficultés, ouvrant ainsi aux Turcs l’accès en Méditerranée occidentale.

            D’autres éléments rendaient une pareille conclusion de plus en plus vraisemblable. Un tremblement de terre avait endommagé les nouvelles fortifications. Plusieurs épidémies de peste s’étaient abattues sur l’île. Un hiver, un ouragan avait ravagé Malte, coulant plusieurs vaisseaux au port. De la coque d’une galère qui s’était retournée, on avait retiré par miracle quelques Chevaliers qui avaient passé la nuit dans l’eau jusqu’au menton, agrippés aux poutres supérieurs de la cale, jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. L’un d’eux était le Chevalier Mathurin d’Aulx de Lescout-Romegas, l’un des plus remarquables marins de l »ordre au XVIème siècle. Il y avait plusieurs années déjà qu’il écumait les mers et il était la bête noire des Barbaresques. Lorsqu’on parvint enfin aux rescapés, après avoir ouvert une brèche dans la coque, le premier qui sortit de cette tombe marine fut un singe, la mascotte du navire.

            Entre 1557 et 1558, Henry VIII, François Ier et Charles-Quint étaient morts à quelques semaines de distance. Il est vrai que l’empereur avait abdiqué depuis un an et s’était retiré au monastère de Yuste.

            En 1557, également, le 46ème  Grand  Maître Claude de La Sengle mourait. On comprit à Malte que la situation était des plus graves.

             Philippe II voyait gronder la révolte dans les Flandres, il était à court d’argent, son mariage avec Mary Tudor, sans enfant, se révélait une coûteuse aventure sans lendemain.

           A la reine Mary d’Angleterre devait succéder sa sœur cadette, Elizabeth, qui ne manquerait pas de retourner à la Réforme, avec son pays.

 

            La France était au bord de la guerre civile.

 

            Le Pape, n’étant pas directement menacé, se désintéressait du sort de Malte. Tandis que Venise et Gênes avaient toujours été hostiles à l’Ordre.

            Un appel au concile de Trente, présenté par Villegagnon, n’avait rencontré qu’une indifférence polie.

            Barberousse était mort, mais une série de corsaires redoutables parcouraient la Méditerranée : Dragut, Louch-Ali, Mustapha – Turcs, Arabes et renégats qui estimaient avec vraisemblance que l’heure était venue de mettre fin à la résistance de l’Ordre.

            Donc en 1557, devant le péril montant, les Chevaliers comprirent qu’il fallait mettre un terme à leur habitude d’élire des Grands Maîtres assez insignifiants pour leur épargner d’avoir à subir l’emprise d’une personnalité trop forte à la tête du Conseil. Presque à l’unanimité, ils élirent Jean Parisot de La Valette comme 47ème Grand Maître.

            A soixante-neuf ans, après toute une vie passée à se battre sur terre et sur mer, le nouveau Grand Maître était mieux à même que n’importe qui dans l’Ordre de faire face à l’ennemi.

            Brantôme, qui l’avait bien connu, le décrit ainsi : « Je dis que Monsieur le Grand Maître Parisot a été très grand capitaine ; il en avait toutes les qualités. Outre sa vaillance et capacité, il était très bel homme, grand, de haute taille, de très belle apparence et belle façon, point ému, parlant très bien plusieurs langues comme bon français, italien, espagnol, grec, arabe et turc qu’il avait appris étant esclave parmi les Turcs. Je l’ai vu parler toutes ces langues sans aucun truchement. Je vous laisse à penser si, avec toutes ces belles qualités, quand il eut été en présence et en discours avec tous les grands princes qu’il voulait arraisonner ce qu’il eût su dire très bien pour les émouvoir en sa ligne très sainte. »

            Balbi di Corregio, qui servira à Malte pendant le siège, écrit sur le Grand Maître La Valette : « Il était grand et bien fait, de grande allure et il portait bien sa dignité de Grand Maître. Son caractère est plutôt triste, mais pour son âge est fort robuste. Il est très pieux, avec une bonne mémoire, de la sagesse, de l’intelligence et il a accumulé beaucoup d’expérience au cours de sa carrière sur terre et sur mer. Il est modéré, patient et connaît de nombreuses langues. Par-dessus tout, il aime la justice et est bien vu de tous les princes chrétiens. »

            Il avait fait toute sa carrière sous l’habit de Malte. Il avait pris la croix en 1515 à dix-neuf ans et il était parti pour Rhodes. Il avait pris part au siège de 1522, et il avait suivi L’Isle-Adam en Italie, puis à Malte. Il s’était distingué comme l’un des plus remarquables capitaines de galères et, capturé dans le naufrage du Saint-Jean en 1544, il avait été un an esclave des Turcs.

            Le Grand Maître La Valette avait un état-major d’hommes de grande classe, capables de l’appuyer au cours des heures sombres qui allaient commencer. Parmi eux se trouvait Mathurin d’Aux de Lescout-Romegas. Il avait pour collègue le Commandeur de Saint-Aubin, autre grand marin, passionné de combat et d’aventure.

            C’est Romegas qui, en 1560, avait signalé l’armement massif des Turcs. Il sera un remarquable organisateur des raids de cavalerie.

            La Valette avait aussi à ses côtés l’un des derniers Chevaliers anglais, Sir Oliver Starkey, son secrétaire latin, originaire du Cheshire, parent de Hugh et de Sir Thomas Starkey , dont le premier était gentilhomme huissier d’Henry VIII et le second, érudit et théologien, fut l’un des conseillers du roi lors de son divorce.

            Le Grand Maître avait encore auprès de lui le Commandeur de Mas, qui s’était battu à Djerba, ses trois neveux : Henri de La Valette, le Commandeur de Cornusson et Aymar du Puy-Montbrun, le Commandeur de Giou.

            Il y avait en tout, de 500 à 800 Chevaliers, 100 servants d’armes, 1 350 soldats, 500 esclaves des galères, contingent peu sûr naturellement, et, en armant des civils, environ 8000 à 9 000 hommes en tout. C’était très peu.

            Le vice-roi de Sicile pour Philippe II était un Espagnol de bonne famille, Don Garcia de Toledo. Fonctionnaire aux ordres du plus paperassier des souverains, il savait que toute initiative lui était interdite, et il était sans doute incapable d’en prendre une. Lent, apathique, hautain et valétudinaire, il était terrifié par un souverain mystérieux et imprévisible, qui ne donnait pas d’ordres écrits – ou le moins possible – pour pouvoir toujours rendre ses subordonnés responsables de ses propres fautes.

             Le vice-roi Espagnol de Sicile connaissait bien le Grand Maître et il vint à Malte en mars 1565, il y passa la journée et écouta poliment les requêtes de La Valette : il fallait de l’argent, de la poudre, des hommes – surtout des hommes – les garnisons étaient toutes insuffisantes. Toledo fit de belles promesses, prit des notes et se rembarqua, laissant au Grand Maître son fils Frédéric qui avait pris la croix à huit pointes.

            Le Grand Maître ne compta jamais beaucoup sur l’aide de cet homme apathique et hypocrite. Il avait un bon service de renseignements, qui lui permettait d’être au courant des projets de l’ennemi. Il avait aussi un sens de l’organisation supérieure et il allait donner toute sa mesure. L’île ne manqua jamais de ravitaillement.

            Les stocks de poudre, de balles de mousquets, de boulets de canon, de pièces d’artillerie furent suffisants et il ne fallut pas avoir recours à des moyens de fortune, comme à Rhodes. L’Ordre possédait le «feu grégeois» et en fit  un usage constant, depuis les remparts ou en rase campagne, avec des espèces de lance-flammes. On utilisa aussi des cerceaux de bois très légers, trempés dans des matières inflammables et lancés tout allumés sur l’assaillant.

            Le 10 avril 1565, le Grand Maître écrivait une longue lettre au Pape, lui demandant son appui financier et militaire. Le Grand Maître fait appel au sens religieux du Pape et à son amour-propre. La visite de Don Garcia de Toledo lui avait fait comprendre qu’il y avait peu à attendre des souverains : il n’avait reçu que de bonnes paroles et des promesses vagues.

            Le Pape lui-même fit très peu. Catherine de Médecis rien : Elle était en train de promener Charles IX à travers le royaume pour aller rencontrer Elisabeth de Valois, reine d’Espagne, à Bayonne. Cette nièce de Pape ignorait tout de l’histoire de l’Ordre, et ce sera Michel de l’Hospital qui lui donnera par la suite quelques renseignements fondamentaux.

            La Valette avait fait tout ce qui était en son pouvoir. Deux forts étaient bien défendus, Saint-Ange et Saint-Michel. Il avait donné l’ordre aux paysans de couper leurs récoltes et de se replier avec leur bétail dans les villes fortifiées.

            Puis, le Grand Maître réunit les Chevaliers à San Lorenzo, l’église conventuelle, pour un service solennel. Ils communièrent ensemble, renouvelèrent leurs vœux, se pardonnèrent réciproquement leurs injures et échangèrent le baiser de paix, jurant de défendre Malte et la Croix jusqu’à la mort. Puis ils se rendirent aux postes qui leur avaient été assignés, pour attendre l’ennemi. C’était le début de la veillée des armes.

 

L E     G R A N D     S I È G E

Le 18 mai 1565, on aperçut les voiles turques. C’était une formidable escadre de plus de 200 bateaux, qui transportait des troupes considérables  d’environ 40 000 hommes, ou plus : c’est énorme en comparaison du petit nombre de défenseurs de l’île.

            Le Grand Maître fit partir en hâte une galère vers la Sicile pour avertir Garcia de Toledo. Elle revint dans les trois jours, rapportant des encouragements du vice-roi, sans plus.

            Le général turc, Mustapha, convoque une conférence d’état-major. Le chef réel de l’expédition, Dragut, n’était pas encore arrivé, mais il y avait là l’amiral Piali, petit-fils par alliance du Sultan, un homme jeune, remarquable marin, et Louch-Ali, qui s’était distingué à La Goulette contre les Espagnols ; On attendait sous peu Hassan, roi d’Alger, le fils de Barberousse, et son lieutenant Candélissa, un renégat grec. Tous étaient férocement jaloux les uns des autres. Pendant tout le siège, les rivalités feront rage.

            Ce fut cet état d’esprit qui amena l’adoption du plan de campagne ; il n’était pas parfait. Conquérir Malte, c’était d’abord conquérir le Bourg. Pour y parvenir, il fallait attaquer par mer. Mais pour battre les forts qui défendaient le Bourg, Saint-Ange et Saint-Michel, il fallait pouvoir entrer dans la rade. Or, elle était barrée par le few de ces deux forteresses croisant celui du fort Saint-Elme, sur l’autre rive. Et celui-ci tirait aussi sur l’autre rade, Marsamxett. On décida donc d’attaquer le Saint-Elme sans délai.

            Si le fort avait été fortifié de manière suffisante, la tâche aurait été surhumaine ; mais il ne l’était pas. On n’avait pu achever les ouvrages prévus et, comme en tous les points stratégiques de l’île, sa garnison était peu nombreuse.

            Les Turcs installèrent des batteries sur le mont Sceberas, un peu plus haut que les remparts du Saint-Elme et purent ainsi tirer à l’intérieur du fort.

            De son côté, La Valette faisait renforcer la garnison, envoyant une centaine de Chevaliers sous les ordres du Commandeur Pierre de Massue-Vercoyran et de Gaspard de La Motte : le fort était toujours accessible à travers la rade. Les galères étaient désormais inutiles, elles n’étaient pas assez nombreuses pour forcer le blocus turc.

            La cavalerie de l’Ordre s’était repliée sur la ville de  Mdina au centre de l’île. Il fut toujours possible de communiquer avec la ville. Les raids de cavalerie rendirent d’inestimables services.

            A Malte, Dragut était arrivé avec 15 autres vaisseaux, 15,000 hommes et de l’artillerie de siège. Il fit tout de suite une scène furibonde à Mustapha, estimant qu’on perdait son temps au Saint-Elme, et qu’il aurait fallu manœuvrer autrement. C’était probablement la meilleure solution, mais il était trop tard pour changer et, estimaient les chefs, le Saint-Elme ne pouvait pas tenir plus de cinq jours. Dragut était moins optimiste, et le facteur temps était primordial : de fait, cette énorme armée ne pouvait songer à hiverner dans cette île stérile. Il fallait donc régler le compte de Malte avant les tempêtes d’automne, qui auraient rendu le retour de la flotte en Turquie extrêmement aléatoire. Or, ces tempêtes commencent avant l’équinoxe, ver le 10 septembre. On avait encore trois mois : ce devait être suffisant, mais il fallait faire vite.

            Toute l’activité se concentrait autour de Saint-Elme, où la situation fut tout de suite très grave. La garnison avait nettoyé à plusieurs reprises les abords du fort, mais les pertes étaient toujours lourdes. Un bastion avancé tomba, enlevé à des hommes épuisés de fatigue. De justesse, on empêcha un détachement ennemi de foncer à l’intérieur du fort et on parvint à barrer son avance en mettant le feu aux matériaux légers et inflammables dont les Turcs s’étaient servis pour combler les fossés. Comme ils n’avaient pas trouvé de terre végétale, ils avaient entassé des balles de laine, de l’étoupe, des fagots et des brassées de broussailles. Tout cela avait flambé instantanément sous le jet des lance-flammes.

            Pendant l’assaut, le Chevalier Abel de Bridiers de Gartempe avait été gravement blessé. Comme on voulait l’emporter, il déclara : « Ne me comptez plus parmi les vivants. Votre temps sera mieux employé à vous occuper de nos frères. » Puis il se traîna jusqu’à la petite chapelle du fort. Lorsque l’ennemi eut été momentanément repoussé, quelques Chevaliers pénétrèrent dans le sanctuaire, et trouvèrent Gartempe étendu devant l’autel, mort. Mais, désormais les jours du fort Saint-Elme étaient comptés.

            Les hommes étaient épuisés de fatigue et de blessures, mal nourris. On ne quittait le rempart que pour mourir. Et cependant, chaque nuit, à la nage ou dans de petites barques, des renforts arrivaient, mais il s’agissait de 15 ou 20 hommes à la fois, juste assez pour remplacer les pertes. On s’efforçait aussi d’évacuer les blessés.

           Deux envoyés du vice-roi Toledo, Salvago et Miranda, arrivèrent de Sicile et gagnèrent le Saint-Ange avant le plein jour. Ils remirent au Grand Maître un message de Toledo, qui répétait ses lettres précédentes. Volonté bien arrêtée de ne pas bouger. On ne  comprend pas l’attitude de l’homme. Il savait naturellement quel désastre aurait été pour l’Espagne et pour lui-même la perte d’une escadre espagnole engagée à la légère : une grave atteinte au prestige naval espagnol, la Sicile en danger. Vingt-trois ans plus tard, la perte de l’Invincible Armada sonnera le gals de la puissance navale espagnole. Mais la perte de Malte, aurait sonné un autre glas : celui de la Méditerranée. Voulait-il laisser les Turcs s’user sur Malte et reconquérir l’île sur un ennemi épuisé ? Jeu dangereux. Avait-il de plus noirs projets, basés sur des ordres secrets du roi ?

            La Valette fit une réponse très ferme, exigeant l’envoi d’au moins 500 hommes : on venait de voir que le passage ente la Sicile et Malte était loin d’être impossible. Salvago repartit, mais Andrès de Miranda décida de rester à Malte, de partager le sort des Chevaliers, et se porta immédiatement comme volontaire pour le Saint-Elme.

            Les officiers du fort Saint-Elme avaient demandé l’autorisation de l’évacuer : ils rendraient plus de services vivants que morts, et plus rien ne pouvait sauver le fort. La Valette avait au contraire exigé la lutte à outrance. L’agonie du fort Saint-Elme commençait.

            Le 15 juin 1565, La Valette envoyait son neveu Henri de La Valette à Toledo, porteur d’une lettre dans laquelle il lui expliquait où et comment débarquer des renforts à Malte. Les assauts turcs usaient peu à peu les hommes du Saint-Elme. Les Turcs avaient tiré 13 000 coups de canon en 18 jours. Des renforts permettraient de rétablir la situation, car les Turcs étaient à bout de force. Il fallait donner un pareil argument pour aiguillonner le courage de Toledo, mais il était vrai que les Turcs étaient, sinon à bout de forces, du moins assez éprouvés par la résistance furieuse de la forteresse. Le 19 juin, la Valette écrivait au Pape dans le même sens et, une fois de plus, il exigeait une aide immédiate et substantielle.

            Le 18 juin 1565, Dragut et l’aga des janissaires avaient reçu des éclats de rocher, détachés par un boulet tombé près d’eux. L’aga fut tué raide, Dragut mourut quelques jours plus tard sans avoir repris connaissance. Des déserteurs apportèrent la nouvelle à La Valette. C’était une perte irréparable pour l’assaillant, mais elle venait trop tard pour sauver le Saint-Elme.

            Le 19 juin 1565, Miranda fit savoir au Grand Maître que la fin n’était plus qu’une question d’heures. Le fort était cerné, les renforts ne passaient plus, l’assaut qui viendrait serait le dernier. On triompha encore une fois cependant.

            Dans la nuit, un soldat maltais, plongeant et nageant entre deux eaux, vient porter des nouvelles de la lente agonie au Grand Maître. Au fort, on savait qu’il n’y avait plus d’espoir et on se préparait à la mort. Un dernier service fut célébré dans la petite chapelle par les deux chapelains conventuels, Pierre Vigneron et Alonzo de Zambranca, suivi d’une dernière communion. Les chevaliers se donnèrent le baiser de paix puis détruisirent les ornements de la chapelle pour qu’ils ne soient pas profanés. Et la cloche sonna le glas.

            L’assaut vint d’une violence inouïe. Miranda fut tué, Massue-Vercoyran et le bailli Guaras, couverts de blessures, se firent porter à la brèche et battirent, assis, jusqu’au bout. Le Chevalier Lanfreducci alluma un brasier pour faire savoir à La Valette que tout était fini. Quelques Chevaliers et quelques soldats, sautant à l’eau au dernier moment gagnèrent le Bourg et vinrent raconter les dernières phases de l’agonie.

            Mustapha se conduisit sans pitié et sans décence. Il fit décapiter les cadavres de Miranda, de Guaras, le gouverneur, de Massue-Vercoyran et planter leurs têtes sur des piques, en vue du Saint-Ange. Les blessés furent achevés dans la torture. On rechercha les Chevaliers reconnaissables à leur soubreveste. On leur ouvrit la poitrine, on leur arracha le cœur, on les cloua en croix sur des planches et on les jeta ainsi à la mer, pour que le courant les portât ver le Saint-Ange. Au matin, la mer rendit quatre cadavres au pied du fort, dont Jean-André de Porcellet. On parvint avec peine à les identifier ; les autres avaient coulé. Il semble que neuf Chevaliers blessés, capturés avant l’assaut final par les janissaires, arrivèrent à se racheter.

            Les cadavres furent solennellement portés à San lorenzo où fut célébré un grand service mortuaire. Les prêtres officièrent en ornements non pas noirs, mais rouges, comme pour les martyrs.

            L’horrible démonstration de Mustapha, destinée à porter la terreur dans l’âme des défenseurs du Bourg, manqua son but. Il ne pouvait plus désormais être question que de guerre à mort, la « paie du Saint-Elme ». Pour commencer, La Valette fit décapiter les prisonniers turcs et tirer les têtes, comme des boulets, sur l’ennemi. Le geste est tout aussi brutal que celui de Mustapha, mais c’est une riposte. Il n’y aurait pas d’évacuation. On mourrait sur place, s’il fallait mourir.

            Un nouveau message partit pour la Sicile, mais La Valette n’eut sans doute pas le courage d’annoncer la nouvelle à celui qui avait condamné le fort par sa lenteur. Il écrivit à Mesquita, le gouverneur portugais de Medina, en le priant de prévenir lui-même Toledo. Les lettres furent emportées en Sicile par le Commandeur de Cornusson, neveu du Grand Maître.

            Sur le continent Européen on s’interrogeait sans passion et sans hâte sur la situation. Seule, la reine Elizabeth d’Angleterre semble avoir compris, qui écrivait : « Si les Turcs triomphent de l’île de Malte, on ne peut pas savoir quels périls surgiront pour tout le reste de la Chrétienté » ; et elle ordonnait des prières « pour les chrétiens qui sont à présent envahis par les Turcs ».

            En France, la cour avait appris la chute du Saint-Elme lors de son passage à Angoulême mais n’en saisit pas la portée. Les Turcs demandaient à abriter leur flotte dans les port français : on n’avait pas refusé, on s’était contenté de les prier d’attendre une réponse.

            En Espagne, Philippe II temporisait, réfléchissait, et faisait pratiquement arrêter son frère bâtard, Don Juan d’Autriche, qui, bouillant d’indignation, avait voulu partir au secours de Malte. A vingt-deux ans, il était tout ce que n’était pas Philippe : beau, ardent, généreux, héroïque ; de plus, il était dévoré d’ambition. Il effrayait Philippe, qui redoutait de lui voir prendre l’ascendant que lui donnait son charme. Il l’empêcha donc d’aller au secours de Malte.

            Malgré tout, malgré l’obstruction de Toledo, des volontaires arrivaient en Sicile, et son histoire est assez surprenante. On a sur elle des documents de première main, car l’abbé de Bourdeille, Brantôme, en faisait partie, et il a raconté son histoire dans ses « Colonels Français ».  Quelque trois cents gentilshommes étaient partis de France pour venir en aide à Malte : il y avait alors une trêve en France. « Ce fut une troupe pour être petite, aussi belle, aussi bonne, aussi leste et si bien armée que jamais ne sortit de France pour aller combattre les Infidèles, aussi par tous les lieux d’Italie où passions, nous tenaient en estime et nous admiraient étrangement car nous avions passé par Milan, où nous étions accommodés d’habillements et d’armes si superbement qu’on ne savait pour quels nous prendre, ou pour gentilshommes, soldats, ou pour princes, tant nous faisaient beau voir. »

            Brantôme donne quelques noms, réellement impressionnants : le maréchal de Bellegarde, Timoléon de Cossé-Brissac, l’un de ces personnages éblouissants et indomptables du temps, Joseph Boniface de La Molle, qui sera l’amant de la reine Margot, Philippe de La Guiche, qui sera maître de l’artillerie, Jean Hardouin de Villiers, marquis de La Rivière, Jean de Vivonne, marquis de Pisani, Louis de Lusignan, marquis de Saint-Gelais, parent des rois de Chypre, Philippe Strozzi, le comte Sciarra Martinengo, les trois frères d’Anglure, Lansac, Saint-Sorlin, le baron de Montesquiou, qui assassinera Henri de Condé à Jarnac, René de Voyer de Paulmy, etc…

            Un fait très frappant : Brantôme insiste sur la présence d’une cinquantaine de volontaires protestants, et il donne quelques noms : les deux frères de Clermont d’Amboise, dont l’un, le marquis de Resnel, sera assassiné à la Saint-Barthélémy par son cousin Bussy d’Amboise, Claude de Clermont-Tallard, qui sera tué à Moncontour, Philippe d’Esparbès de Lussan , qui sera l’un des fidèles  de Henry IV et qui a un frère à Malte, Chevalier de l’Ordre, Romegou, qui capturera Taillebourg avec 18 hommes quelques années plus tard. Il ne s’agit nullement, dans un cas comme dans l’autre, de batteurs d’estrade en disponibilité : il y a là quelques-uns des plus grands noms de France.

            Or, c’est un épisode que tout le monde a oublié ou négligé, peut-être volontairement, sauf Agrippa d’Aubigné qui y fait allusion dans son « Histoire Universelle », et qui connaissait la plupart des volontaires. Il semble qu’autour de ce groupe ait été organisée une conspiration du silence, commandée sans doute par l’Espagne, qui aura intérêt à maquiller le rôle que les siens ont jouée à Malte.

            Car ce groupe de volontaires exaspérait Toledo, ne lui laissait pas de répit, réclamait des bateaux pour se transporter à Malte. Ils étaient trop nombreux et de trop grandes familles pour qu’on pût les intimider et les réduire au silence. Finalement, Garcia de Toledo, avec beaucoup de peine et une extrême mauvaise volonté, envoya à Malte un maigre détachement, le « Petit Secours » : quatre galères, celles de Saint-Aubain et deux autres, montées par 700 hommes, 42 Chevaliers et quelques volontaires (pour le détachement français), sous le commandement de Melchior de Roblès, mestre de camp, et du Chevalier de Quincy, de la langue de France. Les navires étaient commandés par Don Juan de Cardona. Il avait l’ordre formel de ne débarquer les troupes que si le Saint-Elme tenait toujours.

            Le fort Saint-Elme était tombé depuis huit jours. On l’apprit en arrivant, mais on se garda bien de l’annoncer à Cardona et l’on débarqua dans la nuit du 29 au 30 juin 1565. Un coup de sirocco enveloppait l’île d’un brouillard opaque et froid.

            Les Turcs veillaient mal, épuisés par les combats du Saint-Elme. La petite troupe, en se défilant le long de la côte nord, envoya un messager à La Valette et gagna facilement le Bourg.

            Au matin, les Turcs virent avec écoeurement les pennons des nouveaux détachements flottant sur le mur du Bourg. Car le Saint-Elme avait été une victoire à la Pyrrhus. Il avait fallu pour le conquérir beaucoup plus de temps, d’hommes et de matériel qu’il n’était prévu.

            La flotte turque pouvait maintenant entrer dans la rade de Marsamxett, mais toujours pas dans le Grand Port ; et les baies secondaires étaient barrées par d’énormes chaînes de Venise, solidement amarrées. L’arrivée du petit détachement apportait un renfort physique et un secours moral à une garnison qu’on espérait découragée. Et peut-être y aurait-il d’autres renforts : l’Europe n’était pas aussi indifférente au sort de Malte qu’on l’avait supposé.

            Mustapha essaya de traiter avec le Grand Maître La Valette, lui offrant les conditions que L’Isle-Adam avait acceptées à Rhodes en 1522 : refus net.

           La Valette avait accueilli les renforts à bras ouverts. « Quand il vit Quincy, il se dressa sur ses genoux et joignit les mains vers le ciel pour remercier Dieu et dit aux assistants que c’était un vrai gage que Dieu lui envoyait pour l’assurer de sa faveur d’une heureuse issue de cette guerre. Il caressa les capitaines et ses neveux, et surtout le mestre du camp Roblès ».  Ses neveux étaient Henri de La Valette qui rentrait et un des frères du Puy-Montbrun.

            Bien entendu ces secours étaient insuffisants pour assurer la victoire, mais ils permettaient de prolonger la lutte.

            Lorsque Cardona se rembarqua, il rapportait à Toledo un nouveau message du Grand Maître, insistant sur la fatigue des Turcs, qu’il exagérait, et sur la nécessité d’un nouvel envoi de troupes, qui terminerait l’œuvre ainsi commencée. Toledo fut heureux d’apprendre qu’on avait passé outre à ses ordres et qu’on avait débarqué les troupes, mais il était désolé de devoir continuer à chercher les moyens pour éluder les demandes et faire traîner les envois de renforts à Malte.

            Désormais, la lutte se concentrait sur le Bourg. Il fallait encore tenir environ deux mois et demi, avant le début des tempêtes d’automne. Les Turcs essayaient de prendre le Bourg à revers, en amenant de petites unités dans le Grand Port, mais comme on ne pouvait passer la mer, Mustapha décida de les faire haler à bras depuis la baie, à travers l’isthme de Pietà dans la rade de Marsamxett, jusqu’au sommet du Grand Port.

            Il fallait franchir un contrefort du mont Sceberas, une taupinière, mais avec de pareils fardeaux, cela demandait une énorme main-d’œuvre. On z mit tous les esclaves des galères et on abattit tous les arbres accessibles pour établir les glissières. Telle avait été la tactique de Mahomet II pour prendre Constantinople en 1453.

            Le 30 juin 1565, un officier turc de haut grade, Philippe Lascaris, descendant des empereurs de Byzance, sentit s’éveiller en lui une vieille loyauté chrétienne : capturé alors qu’il était tout enfant, élevé avec grand soin à la cour du Sultan, converti à l’Islam, il avait fait une brillante carrière militaire. Maintenant, à peu près de 50 ans, il se rappelait sans doute ce qu’on lui avait raconté du siège de Constantinople, et il comprit que si le plan réussissait, Malte était perdue. Il décida de prévenir le Grand Maître.

            Du pied du promontoire du Saint-Elme, Lascaris fit comprendre aux hommes d’un poste avancé d’en face qu’il voulait venir à eux. On n’avait pas de bateau : on lui cria de se jeter à la mer et qu’on allait l’aider, Il se dépouilla en hâte de ses somptueuses robes, de ses armes, et se jeta à l’eau. Il nageait mal, lentement, et il allait couler au moment où trois bons nageurs arrivaient de l’autre rive et l’amenait vers le Bourg.

            Lascaris fut facilement reconnu : son arrivée était surprenante. Il exposa son calvaire moral au chef du détachement, Juan Sanoguera, tandis qu’on lui apportait quelques vêtements, puis ensuite à La Valette. Sa sincérité était évidente. Il mit le Grand Maître au courant de la manière dont on amenait des vaisseaux dans le port, et La Valette fit immédiatement solidifier les chaînes, en fit tendre de neuves, dresser des piquets pointus : l’affaire était manquée. Lascaris, par la suite, rendit de grands services avec un courage intrépide car, si Malte était tombée, seul le suicide aurait pu l’arracher à un supplice effroyable.

            Les Turcs, voyant leur ruse éventée, en revenaient au duel d’artillerie, et avaient monté des batteries sur les ruines du Saint-Elme, pour battre les abords du Bourg. Il s’agissait de démolir les murs, puis de lancer sur la brèche des attaques en vagues profondes. Les hommes étaient généralement grisés au haschich et ils fonçaient indifférents à la mort.

            Les combats autour du Bourg devinrent une succession d’assauts qui se brisaient sur une défense furieuse, organisée par des hommes épuisés mais qui retrouvaient alors leur mordant.

            Il y eut diverses attaques des Turcs par bateaux, à travers le port. Deux fois, celles-ci se terminèrent en catastrophes, les canons des Chevaliers prenant les vaisseaux en enfilade. Le 15 juillet, en particulier, une batterie cachée hacha littéralement les galères turques. Mais parmi les morts se trouvaient le Commandeur de Quincy. Aux attaques d’artillerie s’ajouraient celles du génie.

            Comme à Rhodes, on en venait à la guerre de sapes, mais elle était très difficile du fait de la dureté du sol et du manque de terre végétale. L’un des spécialistes qui assistaient le Grand Maître de toutes leurs forces, était Girolamo Cassar, architecte et ingénieur. Il fallait reconstruire les remparts à mesure que les Turcs les détruisaient : une fois de plus, tout la population civile y contribuait, et les femmes aidaient encore à soigner les blessés, à porter l’eau, à faire la cuisine.

            Les Turcs, essayant la guerre psychologique, avaient espéré, sans succès, détacher la population civile de l’Ordre. Les Maltais étant des croyants convaincus et ils ne pouvaient accepter les offres des musulmans, même s’ils n’avaient pas tous eu à se louer de l’Ordre. Le seul secours aux Maltais qui, pendant ces mois anxieux leur parvint, fut un bref du Pape accordant des indulgences plénières à tous ceux qui mouraient en combattant l’Infidèle : non seulement aux Chevaliers tués au Saint-Elme, mais aussi aux Maltais tués soit en réparant le mortier des pierres du rempart soit à ceux tués d’un éclat de bombe dans la rue. Ce fut un réconfort moral à la population locale.

            Un jour, pendant un assaut, les Infidèles soudain lâchèrent pied et s’enfuirent en débandade : on n’en comprit pas tout de suite la raison et La Valette se demanda si enfin l’armée de secours avait débarqué. Il n’en était malheureusement rien, mais les Turcs l’avaient cru : un détachement rentrant au camp de base, à Marsa, non loin du sommet du Grand Port, avait trouvé le camp ravagée : les blessés et les malades massacrés, les tentes en few, les provisions pillées ou détruites.

            Le spectacle était effroyable. En fait c’était un détachement de cavalerie des Chevaliers venu de la cité de Mdina sous les ordres du Commandeur de Ligny qui avait accompli cette razzia.

            Mustapha entra dans une fureur noire : c’était là une intolérable bravade et la preuve que la petite garnison n’avait rien perdu do son mordant. L’assaillant s’était retiré sans opposition, chaque cavalier portant un fantassin en croupe. La Valette fit chanter un Te Deum, mais rien n’était réellement sauvé : les troupes de l’Ordre fondaient et les Turcs avaient reçus des renfort d’Afrique.

            Garcia de Toledo continuait à envoyer des lettres vagues et aimables, annonçant son arrivée pour la fin du mois suivant, mais plus personne ne le croyait. Il fallait mourir l’épée à la main. Toutefois, les Turcs eux aussi étaient très las. La plupart des janissaires avaient été tués. Les hommes ne marchaient que drogués au haschich ou à l’opium. Les chefs s’entendaient mal, et tous redoutaient la colère du Sultan.

            A Messine, les volontaires français se morfondaient et jouaient aux cartes ou aux dés, rongeant leur frein. Jean André Doria, arrivé en Sicile, faisait aussi pression sur l’espagnol Toledo et perdait son argent aux cartes.

            Mais à Malte, la situation empirait. Aux duels d’artillerie succédaient les machines de siège. Des catapultes battaient les murs et une série de coups de mains, très audacieux mais sanglants, furent nécessaires pour s’en débarrasser. Malheureusement, elles étaient vite reconstruites.

            Henri de La Valette, le neveu du Grand Maître, fut tué au cours d’un de ces combats. La Valette l’avait profondément aimé, comme un fils, et il eut beaucoup de peine à cacher son chagrin.

            Un assaut contre la porte de Castille faillit aboutir, et la cloche de San Lorenzo se mit à sonner le tocsin, appelant les renforts mais aussi jetant la panique. La Valette redressa personnellement la situation, en arrivant avec un petit groupe de Chevaliers au point le plus menacé. Il y fut blessé, assez légèrement, mais il refusa pendant deux heures de quitter le rempart et ne se fit panser qu’une fois tout danger écarté.

            Les assauts duraient parfois vingt-quatre heures d’affilée ; ils se multipliaient, mais on avait constaté que les projectiles tirés provenaient des canons de marine : les autres canons devaient donc être hors de service. Et assez souvent, la violence du feu se calmait : les Turcs devaient sans doute rationner les coups. C’était encourageant.

            Les averses de pluie commençaient : août finissait, on arrivait en septembre. Les troupes turques en avaient plus qu’assez. Des convois qui auraient dû arriver s’étaient perdus en mer, raflés par des corsaires, qui ainsi favorisaient l’Ordre. Des épidémies ravageaient l’armée turque : typhoïde sans doute, ou typhus.

            Mais la situation du Bourg était terrible. On manquait de bras pour enterrer les morts, les soins aux blessés étaient entièrement abandonnés aux femmes. Des Chevaliers, lassés, suggérèrent d’abandonner le Bourg et de tenir à l’intérieur du Saint-Ange. La Valette refusa d’une manière catégorique : c’eut été un désastre et il eût fallu abandonner à l’ennemi la population, qui s’était courageusement battue pour l’Ordre. On connaît l’attitude des musulmans fanatiques en pareille circonstance : le massacre. Le sens de l’honneur le plus élémentaire interdisait un tel abandon.

            La guerre devenait une guerre d’usure, et l’on se demandait qui tiendrait le dernier quart d’heure. Des renégats ou des prisonniers évadés donnaient des nouvelles du découragement turc. Un coup de main contre la cité de Mdina avait totalement échoué. Alors, malgré l’épuisement, les pertes, les ravages, une lueur d’espoir  commença à naître. Des moines eurent des visions, entendirent des voix qui prédisaient une délivrance à brève échéance, et le 7 septembre, le « Grand Secours » débarqua.

           Garcia de Toledo avait épuisé tous les moyens dilatoires. Avait-il des ordres de Philippe II ? Lesquels ? Pourquoi le roi avait-il adopté cette attitude ? Y avait-il une hostilité secrète entre lui et le Grand Maître La Valette parce que ce dernier était Français ? Voulait-il faire liquider l’Ordre au moyen des Turcs et reconquérir l’île sur l’ennemi épuisé ?

            Mais finalement Toledo, malgré toute sa mauvaise volonté, dut agir. Les troupes s’entendaient très mal les unes avec les autres, les Espagnols contre les Italiens. On ne voulait rien engager pour délivrer des gens qui n’étaient même pas sujets du roi d’Espagne – mais, peu à peu, on comprenait ce que représenteraient les victoires turques.

            Finalement, Toledo réunit un conseil de guerre avec Doria, Alvaro de Sande, qu’on a déjà vu à Djerba, où il avait été fait prisonnier, et Ascanio de La Corna.  Tous les trois poussaient à l’action, et à l’action rapide, pour éviter les tempêtes d’équinoxe. Finalement, ils avaient mis au point un système de débarquement parfaitement logique et bien coordonné. Les dépêches rédigées à ce sujet se trouvent à Simancas : A Alvaro de Sande, Toledo prescrivait de se mettre en rapport avec le délégué du Grand Maître. Il emmènerait environ 9,000 hommes et il aurait La Corna comme assistant.

            Tout devait se faire « dans la bonne volonté et l’harmonie ». Jean André Doria devait croiser aux abords de Malte, mettre à terre deux émissaires, attendre leurs renseignements, puis revenir en un point de rendez-vous se rallier à Toledo lui-même, qui accompagnait l’armée de secours mais qui, sous aucun prétexte, ne descendrait à terre.

           De minutieuses instructions fixaient la manière dont les capitaines de galères devaient traiter leur chiourme.

            Les troupes furent conduites à Messine, et il y eut beaucoup de désertions parmi les Espagnols et les Italiens. Après deux ou trois embarquements décommandés, on mit enfin à la voile.

            Les Turcs avaient eu des nouvelles de ce départ. On avait compté 60 voiles et ils avaient compris de quoi il s’agissait : c’était plus que suffisant pour mettre en déroute un adversaire épuisé et à court de munitions.

            Le 7 septembre 1565, le convoi arrivait à Mellieha, petit port sur la côte nord de l’île, alors que les Turcs l’attendaient au sud. Le débarquement se fit en fanfares. Brantôme le raconte – lui et son frère faisaient partie des volontaires français : « Ainsi arrivant à Malte, nous fîmes une heure durant devant que d’entrer dans le port, une salve d’escopetterie si belle que tous les regardants qui étaient dans le port qui en était bordé de toutes parts, se perdaient d’admiration et d’aise de nous voir et nous faire bonne chère…. Mais tous furent assurés de notre venue, comme du feu de Saint-Elme quand il paraît sur les vaisseaux après une grande tourmente ».

            Ce débarquement très solennel fit croire aux Turcs qu’ils avaient affaire à une énorme armée, et non pas seulement à quelque neuf mille hommes, tout compté. En une nuit, les troupes gagnèrent la cité de Mdina, puis le Bourg. Les Chevaliers et les officiers portaient eux-mêmes leur paquetage pour laisser toutes les bêtes aux munitions.

            Les Turcs n’attirent pas le choc. Quant à La Valette, sachant à combien se montait réellement le secours, il comptait surtout sur l’effet moral. On voyait l’ennemi démonter en hâte les pièces sur les ruines du Saint-Elme.

            Au matin du 7 septembre 1565, les hauteurs qui dominaient la rade étaient à peu près évacuées et les premiers navires cinglaient, emportant les blessés. Les assiégés du Bourg se ruaient en terrain découvert pour opérer la jonction avec l’armée de secours.

             « Il ne faut point demander si le Grand Maître nous reçut for honorablement », écrit Brantôme, «  tant pour l’honneur que nous autres Français lui faisions, à lui Français, de lui venir porter nos personnes pour secours. Aussi s’en savait-il bien prévaloir de cette gloire parmi les étrangers et principalement les Espagnols qui étaient jaloux de nous ».

            Le 10 septembre 1565, les troupes entraient au Bourg, ayant constamment évité les Turcs : ceux-ci ne voulaient plus se battre et étaient en plein rembarquement. La Valette avait tout de suite fait réoccuper et réarmer le Saint-Elme, niveler les tranchées ennemies et armer les galères embusquées dans la baie de Senglea.

            Et soudain, Mustapha s’aperçut que les nouveaux arrivés étaient bien moins nombreux qu’il ne l’avait pensé : 9,000 au plus. Il décida soudain de reprendre la lutte, à la fureur de Piali, qui voulait sauver la flotte et qui redoutait un combat naval avec l’escadre de Toledo, qui pouvait survenir d’un moment à l’autre. Et le mauvais temps menaçait.

            J.A. Doria était aussi dans la région et les galères de l’Ordre seraient bientôt réarmées. Il y eut un conseil de guerre encore plus orageux que par le passé, mais Mustapha et les autres redoutaient par-dessus tout la colère du Sultan. On organisa donc un débarquement.

            La Valette ne fut pas autrement surpris et il fit alerter La Corna. Il rangea ses troupes sur la colline de Naxxar qui domine la côte. L’armée turque débouchait de Msida. Elle avait encore la supériorité numérique, mais elle était écoeurée par un long siège, trois mois de combats sanglants sans décision, la perte des atouts, un fort conquis au prix de torrents de sang et repris sans coup férir. Et l’armée de secours était enfin sur le champ de bataille, ce qu’elle souhaitait depuis si longtemps.

            L’armée des Chevaliers chargea. De Sande eut un cheval tué sous lui ; Clermont d’Amboise fut blessé à ses côtés. Les opérations furent confuses, des vagues d’assaut se succédaient. Mustapha faillit être pris. Piali tirait de loin, n’osant engager la flotte. Les Turcs étaient à bout et ils lâchèrent pied. L’arrière-garde de Mustapha se fit sabrer jusqu’au moment où ses débris parvinrent à se rembarquer, pour cingler vers les îles grecques.

            Malte s’était sauvée elle-même, et elle avait sauvé l’Occident. Les soldats de l’armée de secours regardaient avec stupeur l’état dans lequel étaient les hommes et la ville : une armée de spectres dans les ruines. Mais La Valette, une fois la situation liquidée, déploya tout son charme pour mettre à l’aise et installer ceux qui avaient amené la décision. Son amabilité toutefois était graduée, si l’on peut dire. Charmant avec les Français, il fut glacial avec les Espagnols, et ceux-ci comprirent tout de suite pourquoi.

            Un grand service d’action de grâce fut célébré à San Lorenzo, les Chevaliers, installés le mieux possible, sous les tentes, purent jouir de l’hospitalité du Grand Maître. La Valette les recevait en souverain et aussi en camarade.

            Les Chevaliers morts furent enterrés dans une grande tombe commune au Saint-Ange, ou devant San Lorenzo, et une pyramide commémorative leur fut élevée. La Valette distribua des récompenses dont il pouvait disposer. Il changea le du Bourg en Vittoriosa.

            Le Grand Maître fit une pension aux enfants de Roblès, Miranda et Medran, une autre à Lascaris, qui revint à la fois de ses pères et se fixa en Sicile, d’autres aux soldats blessés, distribua des vêtements, remit une précieuse relique à Alvaro de Sande.

            Quand Garcia de Toledo revint dans l’île, La Valette le reçut avec une majesté royale, et la plus grande froideur. Toledo n’insista pas. Philippe II avait compris. Il déposa son vice-roi, qui, privé d’emploi, se retira à Naples où il mena désormais une existence obscure ; puis il essaya de représenter au monde que la victoire de l’Ordre était une victoire espagnole, mais nul ne s’y trompa.

            Dès le 3 septembre 1565, Phare, agent anglais en Espagne, écrivait de Madrid à Lord Cecil que le roi avait beaucoup perdu de sa réputation en ne faisant rien pour Malte, et le 6 décembre, il ajoutait que Toledo s’était complètement déshonoré par sa politique dilatoire.

            On avait appris la délivrance de Malte en Angleterre le 5 octobre 1565 et la reine avait fait célébrer un service d’action de grâces à la Cathédrale de Saint-Paul.

            Le Pape offrit un chapeau de cardinal à La Valette, qui le refusa pour conserver sa liberté. Philippe II, devenu aimable et empressé, lui envoya de magnifique armes, accompagnées de discours emphatiques, qui l’exaspérèrent.

            Le Grand Maître fit annoncer sa victoire aux souverains par des ambassadeurs extraordinaires. Celui qu’il envoya en France, le Commandeur de La Roche, semble avoir été l’un des Chevaliers qui parvinrent à s’échapper du Saint-Elme au dernier moment. Il fut reçu par Charles IX et Catherine de Médicis à Plessis-lès-Tours.

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            La victoire sur les Turcs portait l’Ordre de Malte à l’apogée de sa gloire. Depuis sa fondation, il avait combattu à l’arrière-garde, couvrant des opérations désespérées, des retraites, des rembarquements. Tout le monde, et surtout les Turcs, n’avaient vu en lui, depuis la perte de Rhodes, qu’une organisation surannée, respectable et inutile. Le siège, triomphalement enduré, terminé par une victoire qui était une sorte défi à l’Occident, changeait la situation. Et comme le Grand Maître était un homme d’une rare énergie et d’une grande indépendance d’esprit, la nouvelle position de l’Ordre allait s’imposer au monde occidental.

            La Valette n’oubliera jamais l’attitude de Philippe II à son égard. Il ne cherchera pas à découvrir pour qu’elle raison le roi avait si complètement abandonné les Chevaliers. Le passé lui était indifférent, mais il en tirait la leçon. Désormais, avec netteté et courtoisie, l’Ordre sortait de l’orbite espagnole. Philippe II s’en aperçut très vite et ne cacha pas son dépit.

            Tout d’abord, il fallait jauger les pertes : elles étaient énormes. A Vittoriosa, les remparts et la ville étaient en ruines ; ailleurs, les bourgades étaient rasées, les récoltes et les arbres coupés, les stocks de provisions et de munitions vides, le trésor épuisée, les canons hors d’usage.

             Il était possible que le Sultan lançât une nouvelle attaque et l’on avait rien pour y parer. La Valette fit immédiatement entreprendre les réparations urgentes, relancer la guerre de course. Puis il demanda fièrement l’aumône aux princes d’Occident, et l’argent arriva : il était vainqueur ! Les remparts furent remis en état, La Valette payant les ouvriers avec une monnaie obsidionale dont la seule encaisse or était sa parole d’honneur. Mais l’opération réussissait.

            Beaucoup de Chevaliers étaient rentrés chez eux après le siège, mais Saint-Aubin, Romegas, Salvago, fixés à Malte, menaient en coupe réglée les territoires ennemis.

            Malte poursuivit ses travaux de fortification, mais plus paisiblement, faisant surtout porter son effort sur la construction de la nouvelle ville et sur la guerre de course. Soliman mourut peu après.

            Du fait, les Turcs ne revinrent jamais. Il y eut souvent des alertes, plus ou moins justifiées, mais plus d’attaque. De génération en génération, les Turcs se souvenaient de « la paie du Saint-Elme » et hésitaient toujours au moment d’attaquer Malte. La leçon de 1565 avait porté. Désormais, l’Ordre prenait l’offensive.

            Le pire danger passé, l’Ordre en revenait à son état normal. Il faut reconnaître que le vœu d’obéissance n’avait jamais été bien respecté ; la discipline n’était pas l’une des caractéristiques de l’Ordre. Après les mois d’abnégation héroïque, de péril enduré sans sourciller, de jour et de nuit, une détente, un relâchement se produisaient, ce qui était assez normal après les heures terribles qui venaient de s’écouler.

            La Valette, âgé, très las, ne comprenait plus cette attitude. Quand l’ennemi était aux portes, il avait pu tout demander à ses Chevaliers. Seulement, maintenant, il n’y était plus et les héros redevenaient des hommes.

            La Valette avait refusé le chapeau de cardinal offert par le Pape, qui s’était senti blessé par cette manifestation d’indépendance. Le Grand Maître avait demandé comme seule récompense des immenses services rendus qu’on respectât les statuts de l’Ordre au sujet du prieuré de Rome.

            Dans l’euphorie de la victoire, le Pape avait promis tout ce qu’on lui demandait mais, à la première occasion, il avait sereinement agi comme de coutume, oubliant la parole donnée.

            La Valette, écrivit une lettre irritée au Pape, et chargea son Ambassadeur Cambian de la faire parvenir. Ce dernier commit la faute de ne pas tenir sa mission secrète. Le Pape en profita pour refuser l’audience et oublier la requête.

            La Valette fut révolté. Il avait alors soixante-quatorze ans – l’extrême vieillesse pour le XVIe siècle. Il avait mené, tout au long de sa vie, une lutte incessante toujours au feu. Le siège l’avait épuisé physiquement, sinon moralement. Il se reposait, comme toutes les natures très actives, en prenant de l’exercice physique et, en particulier, en chassant.

            Le 19 juillet 1568, La Valette fut frappé d’insolation à la chasse, en dépit de son vaste feutre noir et tomba. On le ramena au palais ; il fut pris d’une fièvre violente qui céda quelques jours plus tard, mais laissa des séquelles. Le Grand Maître se sentit décliner. Il exprima ses dernières volontés au conseil et remit ses pouvoirs au bailli de Venouse. Puis il ne pensa plus qu’à son salut éternel et mourut le 21 août 1568.

            Son corps fut d’abord déposé à San Lorenzo, puis après l’élection de son successeur, Pietro Del Monte, comme 48ème Grand Maître, il fut transféré en grande pompe dans la nouvelle ville qui s’élevait en face du Bourg. Le cercueil traversa la rade sur une barque, après quoi on le porta du débarcadère à la petite chapelle de Sainte-Marie de la Victoire.

            Le 48ème Grand Maître Pietro Del Monte, de la langue d’Italie, est un personnage assez insignifiant. Il lui appartenait de continuer l’œuvre de La Valette et de recevoir les prises faites en mer.

            Toutefois, il fallait sortir de cette politique d’attente pour une opération de la plus haute importance. Sélim, fils de Soliman, reprenait les projets de son père contre l’Occident.

            Sélim n’avait pas osé attaquer Malte, mais au début de 1571, il s’emparait de Chypre. Les Turcs s’y livrèrent à un effroyable massacre, après s’être parjurés, comme d’habitude. La plus grande partie de la population fut vendue en esclavage.

            Une fois de plus, le danger se rapprochait de l’Europe et comme, cette fois, c’était Venise qui était directement visée puisque Chypre lui appartenait, l’Europe allait réagir. Venise avait les moyens de la contraindre à l’action.

            Louch Ali commandait la flotte turque, et il se rapprochait des territoires vénitiens. Evitant Zara, bien défendue, il attaque Cattaro, puis Corfou, et l’on craint qu’il ne remonte l’Adriatique. Alors le Pape alerte tout l’Occident.

            En quelques mois, le Pape avait formé la Sainte Ligue, qui unissait à ses propres forces celles de l’Espagne, de Venise et de Gênes.

            Philippe II avait accepté que le commandement suprême fût confié à son demi-frère, Don Juan d’Autriche. Le prince avait maintenant vingt-quatre ans et il s’était déjà révélé un grand chef, ce qui motivait la jalousie et la défiance que lui témoignait le roi d’Espagne.

            Aux flottes de ces quatre puissances s’était joint un détachement de Malte : pas très important, trois galères. L’Ordre n’avait pas encore réussi à réparer complètement les désastres du siège, et à rééquiper une flotte importante. Il avait envoyé la galère capitane, la ‘Vittoria’, puis le ‘Saint-Jean’ et le ‘Saint-Pierre’.

            Mais les chefs des galères de l’Ordre étaient de tout premier ordre. Romegas était du nombre.  Depuis le Grand Siège, il avait poursuivi une éblouissante carrière de corsaire, mettant en coupe réglée les cités barbaresques et les îles grecques, où ses équipages étaient toujours accueillis à bras ouverts par les habitants. Face aux Turcs, les Grecs orthodoxes assistaient toujours les Chevaliers de Malte.

            Un autre auxiliaire de valeur arrivé avec Romegas était son ami Louis Balbis de Crillon, qui allait devenir le « Brave Crillon » d’Henri IV. Il avait alors trente ans et s’était battu un peu partout sous les ordres de Guises, à Calais, à Dreux, à Saint-Denis, à Moncontour. Sa personnalité plut tout de suite à Don Juan d’Autriche. Crillon comptait parmi les membres les plus éminents de l’Ordre.

            Mais d’autres marins de grande classe se trouvaient à bord des navires de Malte : le grand prieur de Messine, Giustiniani, général des galères, Alonzo de Texada et Roquelaure de Saint-Aubin, qui avait tout fait, pendant le siège, pour arracher Toledo à son inertie. La galère de Savoie était commandée par le Chevalier de Ligny, l’un des héros du siège.

           Les diverses escadres devaient opérer leur jonction à Messine, en août 1571. Une fois de plus, la lenteur de l’Espagne faillit tout faire échouer. C’est le 20 juillet seulement que Don Juan quitte Barcelone. Il arrive à Gênes, où Jean André Doria lui offre une série de bals et de réceptions. Il est à Naples, le 9 août, et part pour Messine après une série de réceptions, offertes cette fois par le cardinal de Granvelle, qui lui remet en grande pompe l’étendard bleu et or de la Saint Ligue. Enfin c’est l’arrivée en Sicile.

            Après une entrée grandiose dans le port de Messine, on constate que les galères de Candie et d’Espagne manquent à l’appel. Le lendemain Doria et Santa-Cruz, amiral d’Espagne, arrivent avec 41 nouveaux vaisseaux.

            Don Juan a minutieusement inspecté la flotte : il n’est pas enthousiaste. Les galères de Venise sont en mauvais état, l’amiral Veniero, vieux et quinteux, se montre tout de suite hostile. Don Juan ne peut prendre de décision sans l’avis du Conseil : la plupart de ses membres veulent freiner l’activité du jeune amiral, conscients de la faiblesse de leurs navires, qu’ils exagèrent encore. Venise, au contraire, pousse à l’action, ainsi que Colonna pour Rome, le nonce et Romegas, qui se révèle l’un des plus fermes appuis de Don Juan.

            Brantôme écrit ainsi : « Don Juan fit assembler tout le Conseil pour savoir ce qu’ils auraient à faire. Il en avait parlé au Chevalier Romegas qu’il estimait beaucoup. Aussi avait-il raison, car c’était le meilleur homme de mer qui fût là, sans faire tort aux autres, et qui avait plus fait la guerre aux Turcs. Lui ayant donc demandé ce qu’il lui en semblait : « Ce qu’il m’en semble, dit Chevalier Romegas, Monsieur, je dis que si l’empereur votre père se fût vu une fois une telle armée de mer comme celle-ci, il n’eût jamais cessé qu’il fût été empereur de Constantinople et le fût été sans difficulté ».

Cela s’appelle, dit Don Juan, qu’il faut combattre, Chev. Romegas ?

 Oui, Monsieur, répondit Chevalier Romegas.

  Combattons donc !  conclut Don Juan ».

            On se prépare à l’attaque avec 208 galères et 6 galéasses. Les Turcs ont environ 300 bateaux, mais seulement 150 galères. Tandis que la flotte chrétienne quitte Corfou, Ali Pacha s’est embusqué dans un port imprenable, Lépante, dans le golfe de Corinthe. Le Chevalier d’Andrada, envoyé en reconnaissance, l’avait repérée.

            Le 7 octobre 1571, la flotte chrétienne arrive devant le golfe de Patras. Au matin, on aperçoit les voiles turques qui sortent de leur abri. Don Juan donne immédiatement l’ordre d’attaque et fait hisser le grand étendard de la Sainte Ligue.

           Il ne s’agit pas ici pour nous faire l’histoire du combat, mais de rechercher le rôle joué par l’Ordre de Malte : rôle hors de proportion avec son faible effectif.

           La capitane de Malte suivait de près la ‘Reale’ de Don Juan. Au moment de l’attaque de la capitane ottomane, c’est Romegas qui tient la barre du navire de Marcantonio Colonna et qui saute à l’abordage avec lui, accompagné de plusieurs Chevaliers de Malte. Cette offensive dégage le navire de Don Juan, dangereusement engagé. Un peu partout les abordages commencent, et c’est encore « paie du Saint-Elme » pour les janissaires que rencontrent les Chevaliers de Malte.

            Mais la capitane commandée par Giustiniani, dans l’aile droite commandée par Doria, est attaquée par 7 galères. Elles ne se risquent pas à l’abordage, mais criblent le vaisseau de balles et de flèches. C’est une lutte à mort. Soixante Chevaliers, dont le grand bailli d’Allemagne et Giustiniani, sont tués sur place ou meurent peu après. L’attaque était dirigée par Louch Ali, qui voulait à tout prix se venger de sa défaite de Malte. C’est cette partie de l’escadre qui subira les plus lourdes pertes.

            Doria a commis une grave erreur qu’il parvient à réparer, mais sans pouvoir sauver les vaisseaux perdus. C’est la ‘Reale’ de Don Juan qui redresse enfin la situation. La victoire reste à la flotte chrétienne.

            Les pertes turques sont énormes : Lépante marque la fin de la suprématie navale du Sultan. Mais la victoire n’a été possible que parce que, six ans plus tôt, Malte avait tenu et empêché l’invasion de l’Occident.

            Don Juan rentrait en triomphateur à Messine. Et c’était Louis de Crillon qu’il chargeait d’aller annoncer au Pape la victoire, en dépit d’une blessure reçue.

            Au palais Colonna, à Rome, trois grands plafonds commémorent les exploits de Marantonio Colonna à Lepante. Sur celui qui représente la bataille, la galère de Malte, avec son étendard rouge à croix blanche, se trouve juste derrière la ‘Reale’ de Don Juan, qui se tient à la proue, éblouissant de jeunesse, tout vêtu de rouge.

            Malte reçut deux galères capturées, pour remplacer celle qui était perdue. Et, désormais, l’Ordre achevait de se détacher de l’Espagne. Bien entendu, la Sainte Ligue se désagrégea tout de suite après la victoire, et l’on conclut avec la Porte une paix boiteuse, négociée par Philippe II : ce dernier ne tenait nullement à voir son frère poursuivre le cours de ses exploits. C’est vraisemblablement par son ordre que le prince sera empoisonné plus tard, dans les Flandres.

            La même année, le Grand Maître Del Monte mourait et on élisait à sa place un Français, le 49ème Grand Maître Jean l’Eveque de la Cassière.

            Le nouveau Grand Maître de la Cassière est un personnage très effacé et maladroit. En 1581, il avait réussi à dresser contre lui une grande partie de l’Ordre par ses mesures intempestives. Il voulait empêcher les Chevaliers, lors des élections ou des choix, de favoriser ceux de leur langue : mais il était trop tard pour remonter le courant.

            Il avait aussi exilé aux endroits les plus inaccessibles de l’île des courtisanes de La Valette, ce qui avait exaspéré bien des Chevaliers. Plusieurs décisions aussi imprudentes provoquèrent un soulèvement de Chevaliers de toutes langues, espagnols, français, allemands.

            Romegas se mit à leur tête, prenant le titre de lieutenant du magistère. Il avait été profondément blessé de n’avoir pas été élu Grand Maître à la mort de Del Monte. Il était sans doute beaucoup trop brillant, énergique et actif. Il prit donc la tête des mécontents, qui reprochaient au Grand Maître sa nullité et sa sénilité : il dormait au Conseil, ne prenait aucune mesure pour fortifier Malte, laissait tout aller et refusait de se laisser désigner un lieutenant. Finalement, l’Ordre le suspendit.

            Quatre Chevaliers se faisaient remarquer par leur violence conte La Cassière : ils finirent par l’arrêter et l’enfermer au Saint-Ange. Le Pape se mêla de cette affaire et Romegas et La Cassière se rendirent à Rome. Romegas fut empoisonné à Rome et reçut un enterrement fort honorable et pompeux. Le Grand Maître La Cassière refusa de retourner à Malte et mourut à Rome lui aussi. L’Ordre ensuite choisit Hugues Loubens de Verdalle comme 50ème Grand Maître.

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           La construction de la ville de La Valette suivit une forme adroite en ayant les rue parallèles les unes aux autres.  Elle est actuellement la capitale de Malte. Une série d’églises s’élèvent autour de la Cathédrale de Saint-Jean qui se trouve au centre de la ville : Sainte-Catherine des Italiens, par exemple, et la toute petit Sainte-Marie de la Victoire, Saint-Roche, Sainte-Ursule. L’île est jalonnée d’églises et de couvents, et dans toutes les bourgades s’élèvent de grandes églises baroques, décorées de statues de saints.

            Un coup de chance amène le fameux peintre Italien Caravage à Malte. En 1607, Michelangelo Merisi, dit « Il Caravaggio », débarque à la ville de La Valette en compagnie de son disciple, Leonello Spada. Le Caravage a trente-quatre ans. Il est à l’apogée de sa gloire, et aussi de sa carrière orageuse. Il a fui Rome après avoir été compromis dans un meurtre. Mal accueilli à Naples, où la froideur des Espagnols le déçoit, il songe soudain qu’il aurait sans doute plus de chance à Malte et qu’un séjour dans l’île de l’Ordre pourrait l’aider à rentrer en grâce et à faire oublier l’affaire un peu violente qui l’avait chassé de Rome.

            De fait, il est accueilli à bras ouverts par le 52ème Grand Maître Alof de Wignacourt, qui est assez bon juge en matière d’art pour connaître la réputation de l’homme qui vient lui demander asile.

            Le Caravage est fait Chevalier de Grâce Magistrale, dispensé des preuves et de vœux. On lui donne un atelier, des serviteurs, et on lui passe des commandes. Il se met au travail est peindra cinq toiles à Malte : un ‘Saint Jérome’ qui se trouve dans la chapelle de la langue d’Italie, un ‘Amour endormi’ (palais Pitti), une ‘Magdeleine’ qui a disparu, le magnifique ‘Alof de Wignacourt’ qui est au Louvre, sans qu’on sache comment il z est arrivé, après avoir quitté l’île à peine vingt ans après la mort du modèle, et l’un de ses chef-d’œuvres, la ‘Décollation de Saint Jean-Baptiste’ dans la chapelle de l’Oratoire de la Cathédrale de Saint-Jean.

            La ‘Décollation de Saint Jean-Baptiste’ est une immense toile, très grande, avec la tache violente du manteau rouge de Jean-Baptiste au premier plan, en contraste avec la robe de velours noir de Salomé. Le Grand Maître, Wignacourt, enthousiasmé, félicite le peintre et lui donne une chaîne d’or.

            Peu de temps après, on apprend que le Caravage est au Saint-Ange, sous le coup d’une grave inculpation : il s’est querellé avec un Chevalier et l’a tué ou blessé. Il s’ensuit cependant, sans doute avec de hautes complicités et gagne la Sicile. Pendant ce temps, il est radié de l’Ordre comme « member putridus et foetidus ». Il mourra peu après à Rome, portant toujours son titre de Chevalier de Malte.

            En 1661, arrive à Malte un autre excellent peintre : Mattia Preti, dit ‘Il Calabrese’ – il est Chevalier de Malte, de bonne noblesse.  Sans avoir le génie du Caravage, dont il subit l’influence, il possède un réel talent. Il a aussi connu Rubens dans les écoles de Venise et de Naples et il a le don des grandes compositions énergiques et bien équilibrées.

           Accueilli par le 58ème Grand Maître, Rafael Cottoner, il entreprend une tâche gigantesque : le plafond de la Cathédrale de Saint-Jean, qui retrace l’histoire du saint. Il y déploie une grande richesse d’imagination, un frémissement de vie et de passion. Les héros de l’Ordre, placés par rapport u plafond comme les Sibylles et les Prophètes de Michel-Ange à la Sixtine, ont une fougue et une élégance qui dénotent autant de métier que d’inspiration.

            Deux de ses plus belles toiles sont sans doute un ‘Martyre de Sainte Catherine’, d’une composition hardie et savante, au palais des Grand Maîtres, et la ‘Vierge entourée de saints’ au palais de Verdala. Au palais du Grand Maître se trouve encore ‘Loth et ses filles’, tandis qu’un très beau ‘Martyre de Saint Laurent’ peut être admiré à San Lorenzo. Malte est jalonnée d’églises, et l’activité de Preti a dû être gigantesque, car il en a décoré plusieurs, dont San Lorenzo à Vittoriosa, jusqu’à sa mort en 1693. Il repose aujourd’hui sous une dalle armoriée de la cathédrale de Saint-Jean, juste récompense de l’inlassable activité avec laquelle il avait servi l’Ordre.

            Autour des églises et des auberges s’élèvent peu à peu les maisons des Chevaliers. Beaucoup s’étaient engagés à faire bâtir des palais à ville de La Valette. Les architectes sont Maltais pour la plupart, et ils ont étudié en Italie : Tommasso Dingli, Antonio Ferramolino, Lorenyo Gafa. Plusieurs sont Italiens : Pietro Paolo Floriana, Bartolomeo Genga, Tancredo Laparelli da Cortona, Gabrio Serbelloni, qui est Chevalier de Justice et qui se bat à Lepante. Il liera par la suite son sort à celui de Don Juan d’Autriche. Un architecte militaire est Français : le Chevalier de Tigné ; un autre architecte Français, Frank, vient à Malte au XVIIIe siècle.

            C’est le Maltais Cassar qui construit le château de Verdala, et l’autre Maltais Cachia qui élève le palais de Selmun.

            L’auberge d’Aragon sort de terre en 1571, celle d’Auvergne est de 1574,  celle d’Italie de 1574, et celle de France en 1588.

            L’hôpital, la ‘Sacra Infermeria’, est commencé en 1575. Enfin, les œuvres des architectes de l’Ordre dépassent le cadre de la ville de La Valette et leur talent s’exerce dans toute l’île.

            Peu à peu, Malte prend l’aspect étrange d’une île de pierre, couverte d’architecture, mais à peu près nue.

            A mesure que le temps passe, de nouveaux forts s’édifient le long des rades : Fort Ricasoli, Fort Tigné, Fort Manoël. Des villes se créent dans toutes les encoches des rades voisine de la ville de La Valette, nommées d’après les Grand Maîtres qui les ont fondées : Paula, Senglea, Cottonera ; Spinola tire son nom d’un Grand Croix.

            L’Ordre reste, toutefois, fidèle à sa tâche d’hospitalier. L’hôpital principal de l’Ordre est la ‘Sacra Infermeria’ à La Valette qui domine la rade.

           A une époque où le moins qu’on puisse dire est que les hôpitaux dans d’autres pays étaient d’une saleté dangereuse, ceux de Malte, sans être impeccables, étaient les moins repoussants. La cour est plantée d’orangers, le linge est propre. Les malades sont seuls dans leur lit – fait exceptionnel à cette époque – et à côté de chaque lit se trouve une serviette sur un tabouret.

            On servait les malades dans de la vaisselle d’argent : l’Ordre possédait des tonnes d’argenterie, et il enverra des pièces à la fonte aux périodes où les finances sont en désordre.

            Les Chevaliers semblent prendre à cœur leur rôle d’infirmiers. Le Grand Hospitalier est le pilier de l’auberge de France, et de grands privilèges sont attachés à cette dignité.

            Une série de règlements précisent les conditions dans lesquelles les médecins doivent travailler. Ils sont de service pour un mois et ne sont pas autorisés à quitter le bâtiment pendant ce temps. Ils prennent leurs repas dans leur chambre. Ils doivent faire leur ronde deux fois par jour.

            On était surtout très strict sur la question des quarantaines : il était alors interdit de sortir du lazaret, établit dans l’île de Manoël, dans la baie de Sliema.

            L’Ordre intervient aussi lorsque des fléaux ravagent les contrées voisines. En 1784, un tremblement de terre dévaste Messine et Reggio de Calabre. La nouvelle parvient à Malte un soir vers sept heures. Le 68ème Grand Maître, Emmanuel de Rohan, l’apprend immédiatement, travaille toute la nuit pour organiser les chargements, envoyant ses pages à droite et à gauche porter les ordres, réquisitionner les hommes valides pour aider les marins et la chiourme à charger, et les vaisseaux partent le lendemain matin : quatre galères avec 25 000 écus, 12 000 planches pour bâtir des abris provisoires, des matelas, 20 caisses de médicaments, des vivres.

            Parmi les Chevaliers, tous volontaires, qui partent pour Messine, se trouvent l’historien Boisgelin et le Chevalier de Fay, l’ami de Dolomieu. Ils travailleront d’arrache-pied pendant trois semaines, évacuant sur Malte les blessés graves.

             La tradition hospitalière dépasse les limites de l’île. C’est un Chevalier de Malte, Noël de Brûlart de Sillery, qui fonde le premier hôpital canadien à Québec, en 1637 : il deviendra l’Hôtel-Dieu.

            Une bibliothèque est fondée par les Chevaliers en 1612 : elle changera plusieurs fois de domicile et le très bel édifice qui existe à l’heure actuelle sera construit en 1784 par Rohan.

            Les Chevaliers étaient tenus de léguer leurs livres à l’Ordre, ainsi que leur argenterie et leurs armes.

           Certains bibliophiles s’efforceront de réunir un fons important de volumes qui pourront être utiles à des marins : le bailli de Tencin, qui lèguera une magnifique collection de livres à l’Ordre ; ou encore le bailli de Fassion de Sainte-Jaye, dont le legs est aussi très beau, mais moins austère. Alors que Tencin donnait des ouvrages de mathématiques, de géographie, des grammaires de langues étrangères, des récits de voyages, le bailli de Sainte-Jaye se spécialisait dans les romans et le théâtre. La majorité des volumes sont français.

            Dans la bibliothèque, les preuves de noblesse ne sont pas complètes : il y en a trois mille, alors qu’il aurait dû en avoir bien plus. Mais dans leur ensemble, ces archives sont d’une richesse infinie, insoupçonnée. Et elles sont pratiquement vierges. Elles sont rédigées pour les deux-tiers en italien, pour un tiers en français, presque jamais en latin, sauf pour les chartes anciennes apportées de Rhodes et de Palestine.

            Encore certains des actes de Rhodes, tout au début de l’histoire de l’île, sont-ils  déjà en français. On a l’impression que très peu de Chevaliers savaient le latin après la fin du XVIe siècle.

            Des hommes comme Starkey, Crillon, Villegagnon étaient des humanistes de grande classe : pareil niveau d’érudition ne se retrouve pas plus tard.

          Au XVIIIe siècle, certains Chevaliers auront une belle culture, mais ce seront plutôt des scientifiques, comme Mons de Savasse, Dolomieu, de Sazve, Boisgelin. Encore une fois, on ne leur demandait pas d’être des clercs.

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            Après Lépante, tout lien constant entre Malte et l’Espagne est rompu. On s’en tiendra au faucon statutaire, purement et simplement. L’Ordre estime en avoir assez fait. Les expéditions espagnoles, toujours malheureuses, n’obtiendront plus que quelques bonnes paroles.

            En même temps, la formule de guerre change. Les Turcs sont beaucoup moins menaçants sur mer que par le passé. Ils attaquent par terre et marchent ver l’Autriche à travers les Balkans.

            Mais, afin de nourrir la population maltaise, il est moins cher de saisir le blé porté par des balancelles de Tunis ou de Tripoli que de l’acheter en Sicile ou en France.

           La guerre de course devient une nécessitée économique tout autant qu’une vocation religieuse et militaire.

            Les razzias en  haute mer ou dans les ports rapportent à l’Ordre du blé, des légumes, des fruits, des tapis, du bétail, des épices, du café venu d’Arabie (c’est vers le dernier tiers du XVIIe siècle qu’on commence à boire du café en Europe) et surtout de la chiourme pour les galères, captifs turcs, arabes ou nègres.

            Les captifs de Malte sont relativement bien traités : ils sont bien nourris, bien soignés en cas de blessures ou de maladie, à peu près libres quand ils sont à terre ; ils servent de valets aux Chevaliers – main d’œuvre gratuite – ou encore ils sont jardiniers, porteurs d’eau, palefreniers. Il est interdit de les employer aux besognes dures, telles que le terrassement ou la réparation des remparts. Au bout d’un certain nombre d’années, ils pouvaient se racheter et il y avait parfois des échanges de captifs.

            Les razzias des Chevaliers portaient aussi sur les îles grecques. Ils ne témoignaient pas d’un respect exagéré à l’égard des biens des Grecs schismatiques.

            Chaque printemps, les Chevaliers passent à l’attaque à Chio, Mytilène, Lemnos. Ils s’emparent de Lépante, Corinthe, Hamamet en Tunisie, et accrochent à Saint-Jean les lourdes clés de villes conquises. Dans les îles de l’Archipel, les Grecques font un excellent accueil aux Chevaliers, et parfois suivent leur amant à Malte. Certains jeunes Chevaliers poussent le scrupule religieux . . . . jusqu’à convertir leurs maîtresses au catholicisme.

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            Malte faisait la course sous trois formes différentes : il y avait en premier lieu les navires de l’Ordre, battant pavillon de Malte (rouge à croix blanche), commandés par des Chevaliers et servis par des chiourmes de l’Ordre. Puis certains Chevaliers, autorisés par le Conseil, se groupaient à deux ou trois, entre amis, frétaient une galère, recrutaient un équipage et faisaient la course sous le pavillon de l’Ordre, en versant un pourcentage de leurs prises au Grand Maître.

             Enfin les pirates maltais, sujets du Grand Maître (les Chevaliers ne l’étaient pas) faisaient également la course, munis d’une lettre de marque. Ils étaient redoutés non seulement des Barbaresques, mais de toutes nations chrétiennes.

             C’était des forbans qui capturaient n’importe quoi, et les archives de Malte regorgent de protestations véhémentes de toutes les nations d’Europe, France comprise, qui se plaignaient hautement des agissements de ces personnages.

            La réputation de la marine de l’Ordre était immense, au point qu’elle devenait une sorte d’école navale internationale. Beaucoup de jeunes gens font carrière à la fois à Malte et dans leur propre marine royale – surtout des Français et des Napolitains, des Suédois et des Russes, les uns protestants, les autres orthodoxes, tous servant comme volontaires sous la croix à huit pointes.

           Les jeune Russes laissent d’excellents souvenirs. Ils sont braves, disciplinés, obligeant, très consciencieux dans leur service.

            Les Suédois sont des marins exceptionnels. L’un d’eux est cet étonnant condottiere, Karl Johannn de Koenigsmark, frère d’Aurore et de Philipp Christoph de Koenisgsmark, l’oncle du maréchal de Saxe. Il arrive à Malte en 1675, âgé de dix-huit ans et, malgré son extrême jeunesse, il se révèle un extraordinaire officier de galère. Le 59ème Grand Maître, Nicholas Cottoner, enthousiasmé par sa bravoure, le fait Chevalier de Grâce magistrale, bien qu’il soit protestant.

            C’est aussi à Malte, dans le cadre de la guerre de course, que se distingue Anne-Hilarion de Cotentin de Tourville. Il arrive à Malte à dix-sept ans, en 1660, et il stupéfie tout le monde par son étonnante beauté, son charme et ses dons pour les choses de la mer. Faisant équipe avec le Chevalier d’Hocquincourt, il écume l’Archipel. En 1665, d’Hocqincourt se noie un jour que leur bateau s’échoue près du cap Phénice. Par la suite, Tourville se fera relever de ses vœux au moment où il commencera à jouer un grand rôle dans la marine royale française.

            Les Consuls des Echelles du Levant se plaignaient amèrement de l’audace des Chevaliers de Malte. D’Arvieux, Consul de France à Milo, le Consul à Smyrne, déplorent leurs agissements et sont aussi hostiles que possible aux Chevaliers. Il est évident qu’il y avait dans l’Ordre une série de personnages hors cadre, difficiles à tenir en bride.

            C’était le cas de Gabriel de Téméricourt. Il y avait deux frères de ce nom dans l’Ordre, Maximilien et Gabriel d’Abos de Téméricourt, nés à Pontoise respectivement en 1645 et 1646, reçus dans l’Ordre en 1663. Ils étaient révélés tous les deux des marins exceptionnels.

           En 1668, alors que les deux Chevaliers frères de Téméricourt font l’aiguade à Nio, dans les Cyclades, on leur signale l’approche d’une flotte turque de 54 galères. Les petits vaisseaux de Malte foncent, et c’est une furieuse mêlée de quatre jours, dont les deux frères et leurs compagnons sortent vainqueurs. Gabriel gagne le surnom de Fléau des Mers. Mais l’année suivante, Maximilien est tué au cours d’un engagement.

            A travers toute l’histoire de l’Ordre, se succèdent de grands noms de marins : le Chevalier Laparelli, le bailli de Langon, qui tentera en 1708 de sauver Oran, condamné par l’inertie espagnole, et qui sera tué dans un combat au large de Carthagène.

            La guerre de course est une nécessitée politique, économique et religieuse pour Malte. C’est une obligation que lui imposent les autres puissances, notamment la France. Malte doit couvrir la côte de la Méditerranée, libérant ainsi une partie de la flotte royale française. A tout moment, les pirates barbaresques deviennent une source d’ennuis pour la France et, bien souvent, il faut envoyer une escadre tirer quelques centaines de coups de canon contre Alger, Tunis et Tripoli.

            L’Angleterre a aussi beaucoup à se plaindre des Barbaresques qui harcèlent ses navires quand ils font du commerce dans le Levant.

            Lors de ces croisières, Malte est le point de ravitaillement de l’escadre et les rapports entre les amiraux britanniques et les Grand Maîtres sont excellents.

En 1687, le 60ème Grand Maître, Gregorio Caraffa reçoit deux hôtes de marque, le tout jeune amiral Henry, duc de Grafton, l’un des fils illégitimes de Charles II, et son cousin, nom moins illégitime, fils de Jacques II, James Fitzroy, le futur duc de Berwick. Ils viennent d’aller racheter des captifs à Tripoli, parmi lesquels plusieurs Maltais. Les deux jeunes gens sont reçus avec les plus grands honneurs.

            L’Ordre est, dans l’ensemble, bien équipé pour accomplir sa tâche. Les Chevaliers sont de grands marins et montent de bons navires, bien étudiés pour tenir une mer aussi dangereuse, aussi fantasque que la Méditerranée.

            Le vaisseau favori, au XVIIe siècle, est la galère, trop légèrement armée pour combattre de loin, mais qui pratique surtout l’abordage. Elle est manœuvrée par une chiourme de captifs turcs ou barbaresques. Cette chiourme s’use vite et il faut la renouveler. On passe des commandes à l’Ordre : Louis XIV a un besoin énorme de rameurs pour ses galères, et Malte lui en fournit. C’est le Chevalier d’Escrainville, qui a été coéquipier de Téméricourt, qui s’en charge au début du XVIIe siècle.

            Les pays qui ont des condamnés mais pas de marine – certaines principautés italiennes par exemple – envoient leurs prisonniers sur les galères de la Religion.

            Outre les galères, l’Ordre possède de grands voiliers, puissamment armés et portant quatre cents ou cinq cents hommes d’équipage. En général, les équipages de l’Ordre sont excellents, très entraînés, bien commandés, infiniment supérieurs aux Turcs qui sont mauvais marins.

            Des années de courses fructueuses avaient accumulé près de 10,000 captifs à Malte et tout allait très bien.

            Or, en 1749, à Rhodes, Antonio Montalto (ancêtre direct du 76ème Grand Maître de l’Ordre, Marquis Louis Scerri Montaldo – Marquis de Santa Lucia et Comte de Modon) organisa une révolte et s’empara de la galère d’ordonnance « La Lupa » du Pacha turc de Rhodes, commandée par le malfamé Pacha de Rhodes lui-même, Mustafa, avec l’aide des 140 esclaves chrétiens à bord qu’il libéra après avoir ligoté  le Pacha dans sa cabine. Il firent prisonniers les 120 turcs à bord  et cinglèrent à toute voiles vers Malte.

             L’ahurissement et la joie des Chevaliers devant l’arrivée dans le grand port de Malte de « La Lupa », sous le commandement d’Antonio Montalto,  fut compréhensible.

           A la demande de Louis XV, qui se souvenait soudain de la vieille entente avec les Turcs, on laissa le Pacha en liberté dans l’île. Il était très mal disposé contre l’Ordre, comme de juste. Il ne tarda pas à rassembler un noyau d’esclaves et à ourdir avec eux une redoutable conspiration : il ne s’agissait de rien moins que d’assassiner les Chevaliers et de s’emparer des navires et des forts.

            Deux conjurés bavardèrent dans un café tenu par un certain Cohen, juif converti : ce devaient être deux Arabes, dont la langue ressemble beaucoup au maltais. Cohen les comprit et alla immédiatement dénoncer ses clients.

            Au moyen d’une rafle, on procéda à 150 arrestations, et les aveux arrachés par la torture, révélèrent rapidement toute l’organisation du complot.

            Quatre conjurés moururent sous la torture ; trente-deux autres furent exécutés dans des conditions si terribles qu’on sent quelle terreur s’était emparée du 66ème Grand Maître portugais, Manoel Pinto de Fonseca. Toutefois, on n’avait pas osé exécuter le Pacha.

            Le Grand Maître Pinto écrivit au roi de France : « Lorsque, en donnant la liberté au Pacha de Rhodes, j’ai eu l’honneur de prouver à Votre Majesté ma déférence sans réserve à Sa volonté, je n’ai jamais pu prévoir qu’un mois après, je découvrirais une conjuration tramée par le Pacha qui en était le chef et qui a pour complices mes propres esclaves. La perte de ma vie, qui devait être sacrifiée à la haine personnelle du Pacha contre moi, était le signal de l’insurrection ».

            Un des aspects dramatiques de la guerre de course est la captivité chez les Barbaresques. C’était un risque perpétuellement menaçant : il suffisait d’une bataille perdue, d’un débarquement manqué. La plupart du temps, en tout cas dès le milieu du XVIIe siècle, les prisonniers étaient rachetés. Mais la captivité pouvait être longue et pénible. Des Chevaliers ont passé des mois et des années dans d’ignobles bagnes d’Afrique du Nord et de Turquie.

             Parfois les captifs parvenaient à s’enfuir, mais rarement. Ce fut cependant le cas du Chevalier Paul Antoine de Quiqueran de Beaujeu, capturé par les Turcs en 1660 après un combat épique où ses quatre galères avaient attaqué trente vaisseaux ennemis. Le capitaine turc du bateau qui le fait prisonnier est obligé de faire appel à ses talents de marin pour sauver le navire au cours d’une violente tempête et, très loyalement, tente de le sauver en arrivant à Constantinople. Mais Beaujeu est reconnu par Méhémet Küprüli et enfermé au château des Sept Tours. Il avait alors trente-six ans, et il passe dix ans en captivité. Louis XIV et Venise tentèrent, sans succès, de le racheter. En 1670, le marquis de Nointel arrive à Constantinople comme ambassadeur, ayant dans sa suite Jacques de Beaujeu, le neveu du commandeur, un garçon de vingt-deux ans, qui avait juré de délivrer son oncle. Paul de Beaujeu commence par refuser de fuir, pour ne pas compromettre Nointel, mais son neveu, plaidant tout ce qu’on pouvait plaider, parvient à lui faire changer d’avis et, au cours d’une deuxième entrevue, lui apporte des outils et des cordes.

             Au jour dit, deux matelots du navire qui devait l’emporter s’arrangent pour allumer un incendie aux Sept Tours, le plus loin possible de celle où se trouve le prisonnier. Pendant qu’on éteint le feu, le prisonnier lance sa corde dans le vide et descend. Elle est trop courte : il saute à l’eau, on entend son plongeon, on le poursuit, mais on a perdu beaucoup de temps et, nageant sous l’eau, il parvient à la barque où l’attend son neveu , puis au bateau. En dépit d’un arraisonnement en plein Bosphore, et d’interminables discussions – car les Turcs n’osent venir le reprendre sous le pavillon de France – Beaujeu parvient à fuir et à regagner la France.

            L’affaire la  plus pénible est celle des quatre Chevaliers capturés en 1708, lors de la prise d’Oran sur les Espagnols. L’Ordre avait débarqué un contingent pour renforcer une garnison sans valeur commandée par le Chevalier Caraffa. Les Chevaliers occupaient deux forts de l’enceinte, Saint-Philippe et Saint-André. Caraffa signa une capitulation assez honteuse et s’enfuit avec les siens, abandonnant les autres Chevaliers de Malte et la population civile.

            Deux Chevaliers français, Laurent de Vento de Penne, porte-étendard de l’Ordre, et Boniface de Castellane d’Esperon, un servant d’armes, Baulme, ainsi qu’un Chevalier italien, Balbani, neveu d’un grand croix furent vendus comme esclaves à Alger.

            Ils en appelèrent au 62ème Grand Maître, Raymon Perellos, dans des lettres aussi dignes qu’émouvantes, pour obtenir leur rachat. Au mépris des conventions, ils furent astreints au travail à la Marine, les fers aux pieds et à la taille. Ils furent plusieurs fois malades, Perellos garda longtemps le silence, puis répondit à une lettre désespérée en blâmant vivement son auteur, qui manquait de résignation chrétienne, lui conseillant d’adresser à Dieu des prières ferventes et ajoutant que, quant à lui, il ne pouvait rien faire.

            Les rédemptionnistes ne faisaient rien non plus, estimant que les Chevaliers de Malte étaient riches et pouvaient se racheter eux-mêmes. Or les Chevaliers, et surtout Castellane d’Esparron, étaient pauvres – ce qui était le cas de la plupart des Chevaliers de Malte avant d’obtenir une commanderie.

            Le consul de France à Alger, Clérambault, intervient, s’efforçant d’aider les captifs et de faire comprendre la situation au Grand Maître Perellos.  En 1771, les deux Chevaliers français signent ensemble une lettre au Grand Maître. Ils ont cru à la charité de celui-ci et ont été déçus. Ils sont pourtant là pour avoir obéi à ses ordres. On les sent à bout de force. Bien décidé à ne rien faire, Perellos donne une superbe lettre d’introduction pour Louis XIV au frère cadet de Castellane. Il y use même du ton mélodramatique. Il en envoie une autre à l’ambassadeur à Paris. Tant qu’il s’agit de lettres . . .

            Louis XIV, dont on connaît l’indifférence, ne fit rien. On est en 1713. Deux ans se passent : le roi meurt. Deux mois plus tard, Philippe d’Orléans, le Régent, auprès de qui sert le jeune Castellane, convoque d’urgence au Palais-Royal l’ambassadeur, le bailli de Mesmes, et exige, de la manière la plus nette, un rachat immédiat : la situation, intolérable, n’a que trop duré.

            Le bailli, qui a dû passer un très moment, écrit une lettre urgent au Grand Maître et, une semaine plus tard, recommence : il a eu une deuxième entrevue, tout aussi orageuse. Philippe d’Orléans voulait savoir ce qu’on avait fait. Perellos comprend. L’argent introuvable est trouvé séance tenante et envoyé à Clérambault, à Alger : 2 300 piastres pour chaque Chevalier, 2 200 pour le servant d’armes.

            Le 3 juin 1716, ce dernier arrivait à Malte, remerciait brièvement le Grand Maître. Après quelques mois dans leur famille, Baulme et Vento de Pennes regagnèrent Malte. De Baulme fit une belle carrière et finit commandeur, ce qui était rare pour un servant d’armes. Castellane se fit relever de ses vœux et se maria. Le Régent, quand il le fallait, savait agir vite, énergiquement et avec générosité.

            Même au XVIIIe siècle, la question de l’esclavage se pose encore et Luc de Boyer d’Argens, frère du marquis, est capturé par un pirate barbaresque. Mais il se trouve que se dernier est un renégat aixois et, comme celui qui captura Vintimille, il est plein d’égards pour le Chevalier, son compatriote, et il le relâche.

            Dans son ouvrage sur l’Ordre, Boyer d’Argens, racontant l’épisode, ajoute qu’il ne faut pas toujours compter sur une pareille générosité de la part des Barbaresques, mêmes renégats. En 1665, Sir John Lauder voit une chaîne d’esclaves accrochée en ex-voto dans une église de Langeai : elle y a été dédiée par un Chevalier de Malte.

            Mais la guerre de course ne se ralentit pas, car elle est une nécessité vitale pour Malte. Pendant la Révolution, quand l’Ordre est acculé à la misère par la confiscation de ses biens en France et dans les pays occupés par les armées de la République, la guerre de course s’intensifie dans des proportions considérables, et le 68ème Grand Maître, le français Emmanuel de Rohan, est furieux lorsqu’il apprend qu’un navire de Tunis a pu échapper à la poursuite.

            Des Chevaliers qui n’ont pas assez d’argent pour armer leur propre bateau prennent du service sous des corsaires maltais. Il fallait bien faire feu de tout bois.

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            L’Ordre avait des ambassadeurs dans plusieurs cours, en France, à Rome, en Espagne, en Autriche, à Venise, à Naples.

            En France, le représentant de l’Ordre est reçu avec grande pompe. A partir du XVIIe siècle, les ambassadeurs logent rue de la Ville l’Evêque. Le bailli de La Vieuville et surtout le bailli de Mesmes firent à Paris des entrées spectaculaires.

            Le bailli de Mesmes relata la sienne dans un long rapport au Conseil des Langues, qui est copié dans le ‘Liber Conciliorum’ de 1715, et il en fit imprimer le récit sous forme de plaquette : excellente propagande, qui rehaussait le prestige de l’Ordre.

            Il avait eu d’abord son entrée solennelle à Paris, escorté jusqu’à son hôtel par une véritable procession de carrosses de la cour, du corps diplomatique, des fanfares et des cavaliers de Vincennes. Puis, quelques semaines plus tard, ç’avait été l’audience à Versailles, de huit heures du matin à trois heures de l’après-midi, avec présentation, lecture de l’adresse du Grand Maître, discours du bailli, discours du roi, et, pour finir, un grand déjeuner.

            Plus tard, la réception du bailli de Froulay sera beaucoup plus rapide et plus simple. Louis XV n’avait pas la patience de son aïeul pour s’ennuyer avec majesté. Au moment où le bailli prenait congé du roi, un jeune Chevalier était arrivé au pas de course apportant les lettres de créance qui avaient été oubliées dans l’un des carrosses. Personne ne s’en était aperçu !

            Depuis longtemps, on ne crée plus de commanderies. L’Ordre est riche et n’a pas besoin de recevoir de nouveaux dons en domaines terriens. Il entretient ses très vastes propriétés, et en tire le maximum. Avec l’amélioration de l’agriculture, les commanderies donnent des revenus qui permettraient de faire face à toutes les dépenses de l’Ordre, si l’économie personnelle des Chevaliers n’était pas aussi fantaisiste. La plupart, à leur mort sont couverts de dettes.

            A Malte, le revenu le plus clair de l’île est celui qu’on recueille à bord des navires barbaresques. Mais on voit peu à peu la situation évoluer. Les Chevaliers sont liés par leur vœu de pauvreté, qui en est arrivé à signifier seulement l’interdiction de faire des affaires. Même cela n’est pas une règle rigide : on peut se livrer à certaines opérations commerciales, avec l’autorisation du Grand Maître. Un recueil des ‘Suppliche’, aux archives de la ville de La Valette, renseigne sur ce point.

            Les Grand Maîtres sont très tolérants : après tout, il faut bien que les Chevaliers trouvent le moyen de vivre, jusqu’au moment où ils deviennent commandeurs. Et dans la plupart des cas, leurs familles ne sont pas généreuses. Alors, il sera parfaitement normal de voir un Chevalier français et un Vénitien s’associer pour créer et exploiter une scierie à Marfa à Malte, ou d’autres se livrer à un savant trafic d’ « import-export », huile de Malte contre vin de France, ou fromage de Gruyère (l’importateur est un Chevalier suisse). Certains forment et vendent des collections numismatiques. Il y a une très grande variété d’occupations.

EXPANSION DE L’ORDRE

En 1639, le Chevalier Philippe de Lonvilliers de Poincy est envoyé aux Antilles comme gouverneur des îles d’Amérique. Il a cinquante-six ans et il a été reçu dans l’Ordre en 1604 ; mais c’est à titre du fonctionnaire du roi de France qu’il entreprend ce voyage. Il se fixe à Basseterre, dans l’île de Saint-Chritophe.

Soudain, en 1644, le ministre français envoie Patrocle de Thoisy pour remplacer Poincy. Ce dernier refuse de partir, fait saisir en mer son successeur et le réexpédie en France. Puis, s’embarquant dans une politique fort audacieuse, il s’empare d’îles voisines, Saint-Barthélémy, Saint-Martin, puis Sainte-Croix.

Poincy ensuite obtient du Grand Maître français, Jean-Paul de Lascaris, qu’il rachète les îles pour l’Ordre.

En 1652, sans bien comprendre à quoi il s’engage, le Grand Maître Lascaris en devient acquéreur pour 120 000 livres. L’opération a été négociée en France par le bailli de Souvré, ambassadeur de l’Ordre, officier et mécène.

Poincy reste gouverneur des îles, qui sont officiellement remises à l’Ordre en 1653, dès qu’une partie de leur prix a été payé.

En 1660, Poincy meurt âgé de soixante-dix-sept ans. Le 58ème Grand Maître, l’aragonais  Rafael Cottoner, envoie d’office les Chevaliers de Juré et de Salles, prendre sa suite et étudier la situation. En fait, les îles étaient riches et on aurait pu certainement les faire prospérer, mais elles étaient très loin de Malte et l’Ordre n’avait le sens des aventures lointaines. Souvré est chargé de discuter leur rétrocession à Paris. Colbert ne demande pas mieux que de les reprendre, mais il les rachète à bas prix. Le Chevalier de Salles y reste comme gouverneur au nom du roi.

Le Grand Maître Cottoner n’avait pas fait preuve de beaucoup de hardiesse en l’occurrence, et pourtant son ambassadeur, le marquis de Souvré, était un homme de valeur, entreprenant et énergique, qui avait joué un rôle dans l’armée au Piémont et pendant la Fronde dans le parti du roi. En 1667, il est grand prieur de France, et il fait reconstruire le palais du Temple par le Bernin.

Beaucoup plus tard, en 1761, l’Ordre se trouve de nouveau en face de l’aventure lointaine et, une fois de plus, il fait preuve d’une étrange timidité. Le protagoniste de cet épisode est le Chevalier Etienne-François de Turgot, fils du prévôt des marchands de Paris et frère aîné de l’économiste qui sera ministre de Louis XVI. Turgot suggère de coloniser rationnellement et de mettre en valeur la Guyane en  Amérique du Sud, pour compenser la perte récente du Canada. Ce pays est sauvage, mais très riche et sain. On pourrait y accomplir beaucoup. Choiseul accepte et nomme Turgot gouverneur.

Le Chevalier de Menou, à la demande de Turgot, envoie une longue étude au Grand Maître pour lui exposer les projets et le rôle dévolu à Malte dans l’opération. Des Chevaliers et des Maltais seront les bienvenus là-bas. On pourrait accommoder 1 000 colons et le roi leur fait des conditions spéciales. La Guayane formera une nouvelle commanderie de l’Ordre.

L’affaire n’ira pas plus loin. Le 3 mai 1763, le 66ème Grand Maître, le portugais Manoel Pinto de Fonseca, répondit de manière à ne laisser subsister aucune équivoque : il déclinait toute participation. Sa lettre est d’une extrême courtoisie. Son argument principal est le fait que Malte n’a même pas assez d’hommes jeunes pour assurer sa propre défense. Le Maltais est fait pour la mer, non pour l’agriculture. Pinto tenait à garder une réserve de marins dans l’île, mais l’histoire démontre que les Maltais ont toujours émigrés.

Turgot partit en 1764, passa un an à Cayenne et puis rentra pour s’enfermer dans sa bibliothèque, dont il ne ressortit jamais, même quand son frère fut ministre de France.

En 1768, le Grand Maître Pinto tentait d’aborder la grande politique européenne. La question de la Corse se posait.

Le Grand Maître multiplie les rapports, les avis, les suppliques. Il envoie à son ambassadeur à Paris, le bailli de Fleury, une très longue étude pour établir les droits de l’Ordre sur la Corse, et combien il serait souhaitable qu’il soit fait droit à sa requête « de la soumettre à la domination de l’Ordre ».

Seulement, le duc de Choiseul était bien décidé à ne pas laisser l’île lui échapper, et les épîtres de Pinto le mettaient dans des crises de fureur.

Peu de temps après l’arrivée du rapport, il écrit un billet ultra-secret au bailli de Mirabeau : « Je n’écris plus à ces gens-là (Malte) ; j’ai chassé mon secrétaire ce matin, qui m’apportait des lettres à signer pour ce pays-là. Ils n’ont plus le sens commun et se conduisent comme des fiacres. Heureusement, le Grand Maître va mourir . . . . ».

Mirabeau était au plus mal avec le Grand Maître Pinto : sans doute est-ce la raison pour laquelle il remit le billet au nonce Manciforte, qui le fit parvenir au Vatican.

La réponse officielle du ministre au Grand Maître, plus polie naturellement que la lettre à Mirabeau, n’a pas été conservée dans les archives de l’Ordre à la bibliothèque de Malte. En tout cas, on sait comment évolua l’affaire de Corse : Choiseul acheta l’île en 1768, et Pinto ne pu même pas se permettre de bouder la France, car il avait constamment besoin de l’appui du roi.

Ainsi, après diverses tentatives pour élargir son champ d’action et prendre rang parmi les grandes puissances territoriales, l’Ordre est constamment ramené à l’intérieur du petit périmètre de son île avec son chapelet d’îlots. Mais son action, limitée à l’Europe, reste active.

Avec le XVIIIe siècle, la position de l’Ordre devient parfaitement nette. La période de gloire militaire et navale est révolue. La Turquie a perdu beaucoup de son mordant et de sa force, et tend lentement vers le stade l’ « homme malade ».

Les Régences barbaresques sont enfoncées dans l’anarchie inhérente aux Etats arabes. Leurs navires restent plus gênants que dangereux. Il y aura encore quelques alertes, mais elles ne seront plus sérieuses et l’Ordre en profitera simplement pour remettre en état ses fortifications et sa marine.

Autour de Malte, tout avait évolué. De son passé, Malte garde la tradition de la neutralité totale dans les conflits entre princes chrétiens.

Au cours du siècle, l’Ordre avait dû résoudre des problèmes compliqués. Louis XIV avait essayé de l’entraîner dans sa guerre contre la Hollande, en faisant miroiter la restitution possible des commanderies confisquées au XVIe siècle, et l’Ordre avait été assez sage pour ne pas courir l’aventure.

En 1771, le Danemark lui demande son aide contre la Turquie : refus. Sans doute pour ne pas indisposer la France qui se souvenait encore de l’ancienne alliance, en dépit des ennuis sans compensation qu’elle lui rapportait.

Tous les ambassadeurs de France auprès de la Porte avaient eu des ennuis, Nointel, Ferriol, Des Alleurs. Mais lorsque le « secret du roi » était représenté à Constantinople par le comte de Bonneval, alias Ahmet Pacha, c’était un Chevalier de la langue d’Italie, le commandeur Giuseppe Mayo, qui faisait l’intermédiaire entre l’étonnant personnage et l’ambassadeur de France. Bonneval pouvait difficilement visiter le palais de l’Ambassade dans ses somptueuses robes de pacha à neuf queues.

Avec le déclin de sa puissance militaire, Malte voit croître l’importance de son rôle diplomatique. Les Chevaliers de Malte servent dans toutes les armées, toutes les marines, toutes les ambassades des puissances catholiques, et ils informent le Grand Maître de ce qu’ils ont vu et entendu.

De ce fait, la capitale de Malte, La Valette, est l’un des meilleurs postes d’écoute de l’Europe, et ses archives jettent un nouvel éclairage sur presque toutes les questions. Aucune censure ne limite la portée des renseignements : il n’y a pas de cabinet noir à Malte.

Au XVIIIe siècle, comme au XVIIe siècle, le premier pays pour Malte est la France. Avec trois langues françaises, deux cent cinquante-huit commanderies en France, les deux tiers de son effectif formées de sujets du roi de France. Le roi de France est le souverain qui témoigne les plus grands égards au Grand Maître et à ses ambassadeurs.

Louis XV donnera aux Maltais le droit de résider en France sans être soumis aux impôts qui grevaient les étrangers ou au droit d’aubaine.

Le Grand Maître envoie tous les ans deux faucons au roi de France, escortés et présentés par un Chevalier qui fait le voyage exprès. Il envoie aussi des caisses d’oranges, de citrons, de grenades à la reine ou à la dauphine, et des bonbonnes d’eau de fleur d’oranger qu roi pour sa pâtisserie : on sait que Louis XV s’amusait à faire des gâteaux dans les cuisines des Petits Appartements.

Lorsque l’Ordre est en difficulté, le roi de France intervient. En 1761 se produit l’affaire de la ‘Couronne Ottomane’ pour la deuxième fois, une galère turque est saisie par sa chiourme chrétienne, un vendredi, alors que les gradés musulmans assistaient à la grande prière. L’équipage se débarrassa de manière définitive des Turcs restés à bord et cingla vers Malte.

Le Sultan prit l’aventure encore plus mal que lors de la capture du Pacha de Rhodes, et menaça de mettre toute la Méditerranée à feu et à sang. Il ne l’aurait probablement pas fait, mais il pouvait amener des complications et la France intervint, rachetant la galère à l’Ordre et la rendant au Sultan.

L’ « Oiseau », commandé par le comte de Moriès vint prendre livraison du bateau au port de La Valette, et pour ne pas froisser les Turcs, ne prit à bord qu’un seul Chevalier de Malte, le peintre Antoine de Favray, qui en profita pour faire un long séjour en Turquie et peindre l’entrée de la flotte dans la Corne d’Or. Mais la négociation avait traîné si longtemps que personne ne sut gré à la France de son intervention.

De tout temps, l’Ordre avait dû se défendre contre les empiétements constants de la Curie romaine sur ses privilèges les mieux établis. Vieille hostilité qui remontait à la Palestine.

Dès 1574, où un inquisiteur avait représenté le Saint-Siège à La Valette, les rapports avaient été mauvais. Il avait un service de renseignements bien organisé, et ses lettres à Rome donnent une série de détails sur la vie de l’Ordre.

L’une des grandes causes de friction entre l’Ordre et le Saint-Siège était la nomination aux bénéfices du grand prieuré de Rome. Le Pape les attribuait, sans l’avis du Grand Maître, à des protégés ou à des parents, et dressait les Chevaliers de Rome contre le Grand Maître.

On a vu combien La Valette avait mal pris pareille ingérence, et à peu près tous les Grand Maîtres l’avaient imité.

A la fin du XVIIIe siècle, lorsque le 68ème Grand Maître, Emmanuel de Rohan, se débat au milieu de toutes sortes de querelles intestines, Rome envenime la situation en appuyant les Chevaliers qui se dressent contre le Grand Maître. Non parce que leurs idées sont particulièrement orthodoxes : c’était justement le contraire. Mais parce qu’ils sont hostiles au Grand Maître, et que l’on peut ainsi le gêner. Rohan n’est nullement dupe et se plaint à son ambassadeur à Rome, le bailli de La Brillanne.

On peut toujours admirer, dans ces interminables discussions, le talent des envoyés de Malte, qui tiennent tête avec beaucoup de finesse, de ruse, de résolution aux personnages les plus retors de la Curie romaine. Et les ambassadeurs de Malte étaient des amateurs, qui n’avaient pour eux qu’une longue pratique de ces joutes !

En 1753, l’ambassadeur de l’Ordre, le bailli Bonnano, va discuter avec le ministre des Affaires Etrangères de Naples la question de la nomination des prêtres maltais. Ceci était une source constante de friction, surtout la nomination de l’évêque maltais.

Naples estimait que c’était à lui de décider de la nomination de l’évêque en dernier ressort. Le Saint-Siège l’appuyait. Il y eut d’interminables difficultés lorsque le Grand Maître choisit comme évêque un Aixois, Mgr. D’Alphéran de Bussan.

Le ministre des Affaires Etrangères de Naples s’emporte et, pour faire pression sur l’Ordre, met l’embargo sur le commerce avec Malte. Ce serait très grave si la mesure était observée : bien entendu, elle ne l’est pas.

Les Napolitains, qui ne veulent pas perdre leur meilleur client pour les produits alimentaires et l’équipement militaire, se transforment immédiatement en contrebandiers, métier pour lequel ils sont très doués. Il en est de même pour les Maltais, et les échanges commerciaux se poursuivent à peu près normalement.

Mais le gouvernement napolitain est furieux et commence à prendre des mesures militaires. Le Grand Maître lance alors un appel aux Chevaliers, qui doivent être prêts à répondre à une citation en couvent qui peut venir d’une minute à l’autre.

On s’y prépare – des hommes âgés, comme le Chevalier d’Aydie, le Chevalier de Ribérac, déclarent qu’ils sont prêts à mettre une fois de plus leur épée au service de l’Ordre.

Naples entend annuler la charte de Charles-Quint. Le procédé est à la fois insolent et puéril. Le notaire, à peine débarquée, est assailli à l’auberge d’Italie, où on lui a donné asile : 150 jeunes Chevaliers, absolument furieux, vont proférer des injures et des menaces sous ses fenêtres. Sans tenter de voir le Grand Maître, le notaire affolé décampe en toute hâte.

Le 66ème Grand Maître, le portugais Manoel Pinto de Fonseca, alerte les autres nations, les prenant à témoins de l’insulte qui lui a été faite.

Malte, de son côté menace. Le ton monte de telle manière que Louis XV fait pression sur Naples par l’intermédiaire de son ambassadeur auprès de la cour, le marquis d’Ossun. Peu après, ce dernier informe le nouvel ambassadeur de Malte, le bailli de Duenas, que, pour le moment, l’affaire est réglée.

Naples a entendu raison et le Grand Maître remercie Louis XV pour l’efficacité de sa démarche. Mais la situation n’est pas clarifiée pour autant et tout peut rebondir. L’hostilité est latente et se manifeste à diverses reprises, en dépit de visites de cérémonie de l’escadre de Malte à Naples, à l’occasion d’un mariage, d’une naissance ou d’une accession au trône.

En 1787, le Chevalier de La bourdonnais conduit une autre escadre à Palerme, et, cette fois, c’est le vice-roi qui donne un bal, lequel dure de neuf heures du soir à sept heures du matin ; mais l’hostilité subsiste.

En 1775  survint l’une des épisodes les plus pittoresques de cette rivalité :  la révolte des prêtres maltais, sous le grand magistère du 67ème Grand Maître, l’aragonais Francisco Ximenes de Texada. Sur la nouvelle, peut-être fausse, qu’une escadre russe allait s’emparer de la baie d’Arzew, une partie de la flotte de l’Ordre avait cinglé vers l’Afrique du Nord.

Peu après, au matin du 9 septembre 1775, de la fenêtre de son palais, le Grand Maître aperçut un drapeau inconnu flottant sur un bastion du  Saint-Elme. N’y comprenant rien, il fit demander des explications.

On apprit au Grand Maître que les prêtres maltais s’étaient révoltés sous la direction d’un meneur appelé Mannarino, Ils avaient occupé un bastion du Saint-Elme et quelques bateaux.

Terrifié, le Grand Maître Ximénès, qui n’était pas jeune, perdit complètement la tête, donnant des ordres incohérents. La situation fut rapidement redressée par quelques hommes plus calmes et plus jeunes, le bailli de Rohan en tête. Il fit réoccuper le bastion et les vaisseaux et, en hâte,  pendre quelques-uns des prêtres qui s’étaient le plus avancés.

Il était évident que Ximénès, par sa maladresse et sa brutalité, s’était rendu tout le clergé hostile ; mais celui-ci était secrètement excité et financé par Naples et par une autre puissance.

Le but des rebelles était l’occupation des forts, de la flotte et de l’auberge de Castille. L’intervention rapide du Chevalier Rohan régla la question ; Mannarino, jugé, obtint la vie sauve, ainsi que les autres meneurs ; il n’y eut plus d’exécution. Le Saint-Siège n’émit aucune protestation. Sans doute, l’inquisiteur était-il compromis ; le silence s’imposait.

Ximenes voulut organiser une répression terrible, qui aurait empoisonné à jamais l’atmosphère, mais il n’en eut pas le temps : il mourut quelques semaines plus tard, et Emmanuel de Rohan fut élu à sa place comme 68ème Grand Maître, et calma les esprits.

Il était évident que Naples avait tout fait pour provoquer une crise et comptait reconquérir l’île sans frais. Par la suite, voyant que ce projet avait échoué, elle en mit un autre en train : tenter de faire passer l’Ordre sous sa tutelle, en particulier pour utiliser la flotte comme une sorte d’école navale napolitaine.

Le Grand Maître Rohan fut mis au courant et réussit une fois de plus à réduire le projet à néant avant qu’il n’ait pris corps. Par la suite, Naples sera l’une des puissances qui menaceront l’Ordre pendant la Révolution.

Par une bizarre tactique politique, Naples avait été le jouet d’une puissance déjà menaçante en Méditerranée : la Russie. C’est là une des étapes de la lente et sinueuse progression de la Russie vers la mer libre au Sud, la Méditerranée.

Cette politique Russe en Méditerranée débute tôt, avec Pierre le Grand qui, en 1698, envoie à Malte un grand seigneur de sa cour, Boris Chérémétieff, porteur d’une lettre et de présents pour le Grand Maître. Perellos le reçoit très bien, assez surpris toutefois de cette solennelle ambassade.

Chérémétieff est charmant, intelligent, bon marin : on le met à la tête d’une petite opération navale et il s’en tire avec le plus grand succès.

On se demande toutefois quelles sont les intentions du tzar. Pour le moment, elles sont parfaitement inoffensives, du moins en surface : il cherche à former des cadres pour organiser son empire et Malte peut donner une remarquable formation navale à de jeunes officiers russes.

Au cours du XVIIIème siècle, plusieurs jeunes Russes serviront sur les navires de l’Ordre : Timoléon Koslanoff, Jean Selifontoff, Nicolas Rogosin, que Pinto renverra en 1769 avec les plus grands compliments.

Avec l’avènement de Catherine II, la politique Russe se précise et devient inquiétante. Officiellement, les rapports sont excellents, et la tzarine fait preuve d’une amabilité débordante, presque gênante. Elle écrit souvent au Grand Maître, qu’elle informe de son accession au pouvoir, de la mort regrettable et prématurée de son cher époux.

La tzarine Catherine envoie son portrait par Levitzky. Pinto, puis Rohan, répondent sur le mode affectueux, tout en se demandant quelles sont les intentions réelles de la souveraine.

En 1776, au cours d’une nouvelle guerre contra la Turquie, la tzarine tente d’entraîner Malte à sa suite, en faisant miroiter l’espoir de reconquérir Rhodes et peut-être d’autres îles. Le Grand Maître Rohan se dérobe : l’offre est vague, il est trop évident que Malte servirait de flotte d’appoint et l’idée d’entrer en guerre au côtés d’un empire schismatique ne le tente pas.

De plus, une Russie puissante et victorieuse est bien plus dangereuse qu’une Turquie en voie de décomposition. On n’est plus à l’âge des croisades.

L’opération contre la Turquie suivait de peu l’épisode de la révolte des prêtres, au cours duquel la Russie avait pu voir que, de toute façon, l’île ne tomberait pas d’elle-même. La révolte des prêtres maltais fut certainement subventionnée par Naples et par la Russie.

L’un des plus remuants et des plus intelligents Chevaliers de l’Ordre, le Commandeur de Dolomieu, dénoncera la collusion entre Naples et la Russie.

La partie est double, car elle se joue également sur les territoires en terre ferme de l’Ordre. Dès 1618, le Prince d’Ostrog, grand seigneur polonais, avait légué ses biens à l’Ordre, après extinction de sa famille. Le Prince d’Ostrog mourut en 1673 et, après un procès intenté par son beau-frère, les biens furent remis à l’Ordre, constituant la plus grande partie du grand Prieuré de Pologne.

Au premier partage de la Pologne, les terres de l’Ordre s’étaient trouvées en territoire russe et la Russie les avait confisquées, tout en laissant subsister l’espoir qu’elle en restituerait au moins une partie après quelques négociations. Rien n’allait être plus compliqué.

Toutefois, l’Ordre disposait d’un diplomate de grande classe, le bailli Michel Sagramoso, originaire de Vérone. De grande famille, il était exceptionnellement cultivé. Il avait étudié à Bologne, acquérant une culture générale très supérieure à celle de la moyenne des chevaliers. Il s’intéressait à la géologie, la météorologie, la botanique, la physique. Esprit vaste, un peu superficiel, très doué, il savait le français de manière non seulement parfaite, mais encore charmante, et il avait prononcé un discours en suédois, lors de sa réception à l’Académie Royale de Stockholm.

Entré dans l’Ordre de Malte à la suite d’un violent désespoir d’amour, Sagramoso avait fait ses caravanes, puis était parti pour la Turquie avec l’ambassadeur de France. Saisi de la passion des voyages, il avait parcouru toute l’Europe, et surtout les régions septentrionales. Il était allé au Danemark, en Suède, et de là en Russie, où il avait connu Catherine à l’époque où elle n’était encore que la toute jeune Sophie d’Anhalt-Zerbst, allant épouser un tzarévitch peu engageant.

Sagramoso avait été quelques temps le précepteur du jeune comte d’Anhalt, avec qui il avait visité la Suisse, séjournant à Lausanne, à Genève. Il avait parcouru l’Angleterre, vécu dix-huit mois en France, et s’était lié avec de nombreux savants. Il connaît Linné, Montesquieu, Malesherbes, Wagertin, Loys de Bochat, Madame du Boccage, Cramer.

Après son grand tour, Sagramoso rentre en Italie où il est nommée ambassadeur de l’Ordre à Venise, commandeur, puis bailli.

L’affaire de Russie rebondit en 1772. Il faut absolument aller discuter sur place avec la tzarine pour tenter de sauver quelque chose des commanderies de Pologne, et personne mieux que le bailli Sagramoso ne peut entreprendre cette mission périlleuse.

Connaissant les pays du Nord, polyglotte plein d’entregent, Sagramoso est très beau par surcroît, et à grande allure. Il repart donc, d’abord pour Paris, où il met au point la question financière de son voyage, enfin pour Varsovie et de là Saint-Pétersbourg, où il arrive en avril 1773.

Les négociations sont difficiles : elles n’intéressent pas les Russes, qui font traîner les choses. Et Sagramoso, qui sait que ses lettres sont lues, écrit à Fleury : « Je compte infiniment sur les bontés et la grandeur d’âme de cette immortelle souveraine ». Mais, pris dans l’engrenage, il y ‘perd son latin’.

Après des mois inutilement passés à Saint-Pétersbourg, Sagramoso repart pour Varsovie, où le climat est moins éprouvant. Finalement, après de longs efforts, il arrive à une solution à peu près acceptable, qui sauvegarde quelques-uns des intérêts de l’Ordre. Il retourne à Saint-Pétersbourg pour baiser la main de la tzarine Catherine II et recevoir une boîte incrustée de diamants, après quoi il rentre ventre-à-terre à Paris, d’où il regagne Malte.

Dès son retour à Malte, le Grand Maître renvoie le bailli Sagramoso à Naples comme Ambassadeur. La situation y est toujours tendue, et c’est lui qui fera échoué le plan napolitain tendant à mettre la main sur la flotte de l’Ordre, et éventuellement sur l’île.

Quelques années passent, sans l’intervention russe, puis en 1783, Catherine II informe le Grand Maître Rohan que les excellents rapports existant entre leurs deux pays l’incitent à envoyer un chargé d’affaires permanent à Malte, le comte Psaro.

Le Grand Maître est atterré : rien ne peut être plus gênant et même plus dangereux. Cette nomination intempestive inquiètera et irritera la France, et il est évident que le chargé d’affaires sera un espion qui travaillera non seulement pour son propre pays, mais aussi pour Naples.

Le Grand Maître Rohan demande immédiatement conseil à Sagramoso : pour le moment, après avoir tenté sans succès de détourner le coup, il n’y a plus qu’à attendre.

Le Comte Psaro n’arrive pas, et Rohan se demande si, par bonheur, le projet a été abandonné. Soudain, on apprend la présence du Russe à Venise. Il est probable qu’il va traverser l’Italie pour s’embarquer à Naples ou à Syracuse, et Rohan prie Sagramoso de le voir au passage, de sonder ses intentions, et de lui exposer la situation.

Mais brusquement, le Comte Psaro, qui s’est embarqué sur l’Adriatique, arrive droit à la citée de La Valette. Il se présente à Rohan en audience solennelle dans « le déshabillé le moins présentable » écrit le Grand Maître au Comte de Vergennes. Rohan est ostensiblement désagréable. Le Comte Psaro se tient mal, s’habille mal, boit beaucoup, accepte avec une alacrité déplacée toutes les invitations, même les plus réticentes et il se fait une réputation de rustre.

De plus, le Comte Psaro est au mieux avec le Bailli de Loras, ce qui précise son rôle occulte, car Charles Abel de Loras, de la langue d’Auvergne, d’esprit et de corps tordu, est l’un des agents de Naples à Malte. Cette intimité a été découverte et dénoncée par Dolomieu, qui déteste Loras et qui voit clair. Rohan, cependant, mis au courant par le commandeur, ne comprend pas l’importance de sa découverte et ne lui en saura aucun gré, rare manque de perspicacité. Ce contre-espionnage coûtera cher à Dolomieu par la suite.

Le temps de la mission de Psaro écoulé, Rohan espère qu’il va être rappelé : malheureusement, Catherine II renouvelle son mandat, et en 1788 une nouvelle escadre russe entre dans la Méditerranée.

Une fois de plus, on demande à l’Ordre de s’aligner aux côtés de la Russie contre la Turquie ; une fois de plus, le Grand Maître refuse.

Le Comte Psaro part enfin. Catherine II lui désigne pour successeur un Chevalier de Malte, O’Hara, mi-Français, mi-Irlandais au service de la Russie. Mais il n’arrivera pas à Malte avant la fin de la domination de l’Ordre. C’est la politique russe qui est directement responsable de celle-ci.

Les guerres du XVIIIe siècle mettent l’Ordre en rapport avec la Prusse qui, par ailleurs, relevait peu de la langue d’Allemagne, puisque le royaume était protestant.

Malte avait des commanderies en Silésie. Lorsque Frédéric II s’empare de la province, il confisque le prieuré de l’Ordre. Malte tente de s’opposer à cette spoliation, proteste et cherche à engager des pourparler : il semble qu’on pourrait arriver à s’entendre, mais comme pour le prieuré de Pologne, il faut aller discuter sur place.

L’Ordre dispose d’un autre ambassadeur de grand talent, le bailli de Froulay. Parent du maréchal de Tessé, il a été général des galères et a servi l’Ordre sur mer avec distinction. En 1753 et en 1756, il part en mission pour Berlin afin d’y plaider la cause auprès de Frédéric II. Ce dernier l’accueille bien mais il ne sortira rien de cette négociation.

En 1769, il faut revenir à la charge. Froulay est mort depuis trois ans,et l’on fait choix d’un autre intermédiaire, le commandeur Zinzendorf. Cette fois, le roi est parfaitement désagréable.

Frédéric II exige un ambassadeur à poste fixe dans sa capitale. Evidemment, c’était créer un précédent : un ambassadeur de l’Ordre auprès d’un souverain protestant. En outre, Zinzendorf se déplaît à Berlin, et le laisse trop voir, ce qui, assez normalement, blesse le roi. Aussi l’affaire s’enlise-t-elle lentement.

La branche allemande fut éventuellement supprimé et sa propriété incorporée dans la confédération du Rhénan le 12 juillet 1806, et puis par le roi de La Bavière, le 8 septembre 1808.

Le 12 janvier 1811, Ferdinand transféra le bailliage de Brendenburg-Sonnenburg à l’Etat et qui fut déclaré aboli le 23 mai 1812 et re-constitué le même jour séparément.

Le 15 octobre 1853, Frédéric William IV annula l’édit de 1812 et renouvela le bailliage ancien de Brandenburg qui s’intitule actuellement l’ « Ordre Johanniter » pour le différencier de l’ « Ordre Malteser » catholique.

Depuis le XVIe siècle, les relations entre l’Ordre et l’Angleterre ont passé par des stades variés. Ulcéré après les confiscations opérées sous le règne d’Elizabeth I, l’Ordre garde cependant des relations courtoises avec la cour de Saint-James.

Sous Charles II, les rapports sont bons. Le roi écrit quelquefois au Grand Maître pour annoncer l’envoi d’une escadre en Méditerranée – plusieurs fois sous le commandement de Sir John Narborough. Les navires se ravitaillent à Malte, sont fort bien reçus et, en remerciement, l’amiral rachète des captifs maltais, et plusieurs chevaliers, notamment un commandeur de Granges.

Sous Jacques II, les relations entre l’Angleterre et Malte auraient pu être excellentes. L’Ordre espérait beaucoup d’un souverain catholique et laisse entendre par de discrètes allusions qu’il se verrait volontiers restituer ou octroyer quelques commanderies en Angleterre.

Jacques II était entièrement d’accord, mais son règne bref et catastrophique ne lui laissa pas le temps de prendre des mesures dans ce sens. Lorsque Jacques II s’enfuit en France, l’Ordre lui témoigne la plus grande déférence, ainsi qu’à son fils « Jacques III », le chevalier de Saint-George, à la femme de ce dernier, Clementina Sobieska, ainsi qu’à leur deuxième fils, Henry, cardinal d’York.

Par contre, il ne semble pas avoir eu de rapports entre l’Ordre et Charles Edward, « Bonnie Prince Charlie ».

Le Grand Maître nomme grand prieur d’Angleterre, à titre purement honorifique, sans plus, l’un des petits-fils du duc de Berwick. Dans toute cette correspondance, l’amabilité des Grands Maîtres est certaine : ils tiennent le plus grand compte des innombrables lettres des Stuarts, plus que n’importe quels autres souverains, sans aucun doute. Mais on reste là.

Les pirates maltais étaient une perpétuelle source d’exaspération. Une crise éclate en 1713. Des marins anglais se plaignent d’avoir été maltraités à Malte et, au même moment, un vaisseau anglais est capturé par les Espagnols et vendu à La Valette. L’ambassadeur de l’Ordre, le bailli de La Vieuville, fut chargé d’entrer en relations avec le chargé d’affaires britannique, Matthew Prior, et d’étudier la question. La difficulté vient du fait qu’on ne sait pas, à Saint-James, comment il faut s’adresser au Grand Maître. Finalement, la lettre arrive, mais peu après la reine Anne meurt, puis le bailli, et le nouveau gouvernement de George Ier rappelle Prior. Les négociations sont paralysées.

Tout recommence en 1718. De nouveau, un bateau anglais, illégalement capturé en haute mer, est illégalement vendu à La Valette. Cette fois, il y a une escadre anglaise en Sicile, et l’amiral qui la commande, Sir George Byng, décide d’agir, mais avec la plus grande courtoisie. De la part de l’Ordre il s’agit d’ignorance plus que de mauvaise volonté ; au surplus, le Grand Maître Perellos, très vieux, est sénile. Mais l’état-major anglais, qui fut envoyé à Malte par Byng, s’ébattait dans une série de soirées, de garden-parties, de concerts, et rien ne fut conclu.

Lorsque le Grand Maître Rohan crée la langue anglo-bavaroise pour admettre dans l’Ordre des chevaliers qu’on ne savait où placer, il demande son accord à George III, espérant que le roi l’accompagnerait de quelque don, restitution d’anciennes commanderies ou offre des nouvelles : il fallait ignorer le droit anglais pour y compter.

Les commanderies de l’Ordre saisies en Angleterre en 1560 étaient vendues ou données depuis longtemps, et ne pouvaient être retirées à leurs propriétaires.

George III se contenta d’envoyer son accord et ses meilleurs vœux. Rohan du se retourner vers les biens confisqués aux jésuites en Bavière pour doter la nouvelle langue, où il n’y eut pas de chevalier anglais semble-t-il.

En 1783, lorsque Dennis O’Sullivan veut entrer dans l’Ordre, le Grand Maître Rohan intervient lui-même pour le faire accepter, mais c’est dans la langue de France qu’il y fut incorporer.

A travers toute son existence de puissance souveraine, l’Ordre s’est trouvé devant un problème dont la solution n’a jamais été parfaite : ses allégeances. Il semble que dès la période de Rhodes la question se soit posée. Auparavant, un chevalier espagnol, sicilien, français, danois, anglais servait l’Ordre dans un esprit purement religieux, bien décidé à vivre et à mourir pour la Croix.

Le début du sentiment des nationalités, au cours du XVe siècle, amène des transformations dans cet état d’esprit, et au XVIIIe siècle l’idéal religieux de l’Ordre s’est considérablement affaibli. Un chevalier de Malte doit savoir servir son souverain et son Ordre en restant loyal aux deux.

Comment le problème est-il résolu sur place ? Car à Malte, dans un espace exigu,  sur des navires  où l’entassement  est encore pire,  vivent de 700 à 1 000 chevaliers de sept ou huit nations différentes.

Malte est un endroit où il est impossible de s’isoler. Les auberges nationales étaient en nombre réduit. Et pourtant, il semble que la vie était à peu près tolérable, et que, dans la plupart des cas, les associations entre chevaliers de nationalités différentes fonctionnaient bien.

Les divers services de l’Ordre et en particulier l’état-major des navires étaient internationaux et fonctionnaient sans heurt.

Incidemment, on se demande quelle langue était la plus courante à Malte. Certainement pas le maltais, que personne, sauf peut-être le Grand Maître Rohan, ne savait. Certainement pas le latin, car les chevaliers n’étaient pas des érudits. Sagramoso, homme très cultivé, écrivait de manière charmante à Linné : « Le métier de corsaire, dans lequel j’ai passé plusieurs années de ma jeunesse, n’était pas propre à cultiver toute langue savante. Tout mon latin ne consistait pour lors qu’à bien couper la moustache aux Turcs ».

La plupart des chevaliers – pas tous – devaient en fait savoir le français et l’italien.

Dans chaque pays existent un certain nombre de grands personnages, ministres, mais aussi savants, écrivains ou peintres, qu’on se doit de connaître, et dont les lettres sont accueillies avec respect dans toute l’Europe. Au cours du XVIIIe siècle, quelques membres de l’Ordre font partie de cette élite : le bailli de Froulay, le bailli Sagramoso, le bailli de Saint-Simon, le Grand Maître Rohan, le commandeur de Dolomieu, d’autres encore. L’universalité d’une éducation commune à tous les grands seigneurs permettait une certaine intimité entre hommes venant de pays différents.

Une nouvelle orientation se dessine : l’ouverture russe. Catherine II est morte. D’accord avec le nouveau tzar, Paul Ier, le 68ème Grand Maître, Emmanuel de Rohan, s’efforce de constituer un grand prieuré de Russie qui englobe les domaines de Pologne (7 commanderies). Pour négocier, Rohan envoie en Russie le bailli Litta, de grande famille milanaise, qui y a déjà fait un séjour sous le règne de Catherine II, en 1789. Paul Ier le reçoit avec effusion et, sans faire de difficultés, règle tous les problèmes en cours au mieux des intérêts de l’Ordre.

Vis-à-vis de Malte, le tzar ou ses conseillers s’en tiennent, au fond, à la politique parfaitement logique et nationale de Pierre le Grand : la base en Méditerranée.

En même temps, Paul Ier engage un rapprochement avec le Saint-Siège et demande l’envoi d’un nonce pour résoudre d’importants problèmes. La demande est accueillie avec joie à Rome et l’on dépêche en Russie, en janvier 1797, Mons. Lorenzo Litta, frère du bailli. L’un des premiers résultats de ce rapprochement est la création d’un grand prieuré catholique de Russie.

Peu après, Rohan meurt et on élit le 69ème Grand Maître, Ferdinand von Hompesch.

L’Angleterre, depuis la perte de Minorque en 1782, songeait à faire de Malte un deuxième Gibraltar. Les interminables guerres suscitées par la Révolution accroissaient l’importance de l’île et Nelson allait en réclamer l’occupation : l’Ordre n’avait plus que cinq galères, un vaisseau, trois frégates et quelques petites unités. On avait tout laissé péricliter faute d’argent. Malte puissante aurait été respectée, mais dans l’état où elle se trouvait, elle était à la merci du premier occupant.

Hompesch pria le tzar d’assumer le titre de « Protecteur » de l’Ordre. Ceci fut le commencement d’un important changement de la constitution de l’Ordre car il faut souligner le fait que le tzar était orthodoxe et il faut bien tenir compte de ce fait en délinéant la continuité de l’Ordre jusqu’à nos jours.

Le conflit des allégeances des chevaliers entre leur pays et l’Ordre  éclatera en 1798, lors du débarquement de Bonaparte à Malte. Il n’y a eu de trahison ni dans un cas, ni dans l’autre. Seulement, en ce qui concerne  l’allégeance nationale et celle de l’Ordre, les chevaliers se trouvaient déchirés entre deux attractions égales. Chacun choisit suivant ses propres tendances. Rien n’avait été tenté pour imposer l’une plutôt que l’autre.

On a voulu voir dans le débarquement de Bonaparte un coup porté gratuitement à l’idéal aristocratique de l’Ordre. C’est peu probable. La prise de l’île était une nécessité stratégique.

Le 6 juin 1798, deux vaisseaux de l’escadre de Bruey arrivèrent à Marsaxlokk et demandèrent de faire l’aiguade – ce qui leur fut accordé. Puis la flotte entière apparut, encerclant l’île.

On comprit le danger et la population perdit la tête, très partagée, tout comme l’Ordre, sur l’attitude à adopter.

Bonaparte faisait demander le droit, pour ses navires, de pénétrer dans le port pour se ravitailler. Les statuts n’admettaient que quatre navires à la fois, mais Bonaparte ne pouvait perdre autant de temps car il aurait fallu des semaines, et Nelson croisait quelque part en mer, pas très loin de là.

Devant les exigences de Bonaparte, la résistance s’organisa à la dernière minute et dans le plus grand désordre. Hompesch déclara qu’il admettait l’entrée de quatre navires, comme le prévoyaient les règlements maritimes, mais qu’il ferait tirer sur le cinquième.

L’aristocratie maltaise craignait pour ses biens, le petit peuple ne voulait pas se battre, le clergé craignait le pillage des églises. Hompesch donnait des ordres incohérents et la congrégation de la Guerre des contre-ordres.

Pris entre deux loyautés, les Français réagissaient de diverses manières. Ils étaient deux cent soixante à Malte sur les trois cent soixante-deux membres de l’Ordre. Puis la population, dans un accès de terreur, massacra quatre chevaliers, Montazel, Vallin, de Lorme et d’Andelare, l’ami de Dolomieu qui se trouvait sur l’un des navires avec les savants que Bonaparte avait emmenés.

Hompesch, fou de peur, ne sachant où donner de la tête, perdit tout sang froid et demanda une trêve ; puis, deux heures plus tard, il capitula. Il craignait, semble-t-il, le massacre de l’Ordre par la populace.

Bonaparte avait mis la main sur le trésor et les forts intacts mais il put constater que le trésor était minable et les forts indéfendables.

On pilla beaucoup – mais beaucoup moins sans doute qu’on ne le raconte à Malte sous l’influence de la propagande anti-française diffusée, par la suite, par les anglais et par les prêtres maltais qui furent à la tête de la révolution ultérieure contre les français. Ces derniers, dans l’intérêt du peuple maltais,  installèrent dans l’île les idéaux de la révolution : « liberté, égalité, fraternité ». Ce fait  miné le pouvoir que les prêtres maltais exercés sur le peuple de l’île et ils voyaient donc les français comme une menace sur leur domination.

Au terme de la capitulation, l’Ordre cédait la suzeraineté de l’île à la France, et les chevaliers devaient recevoir des indemnités ou des pensions. Le Grand Maître pouvait se retirer, où il jugerait bon, avec son escorte et les chevaliers non français. Les Français pourraient rentrer en France : leurs sauf-conduits furent signés par Vaubois, et parfois par Desaix. Certains pour des raisons d’âge, de santé ou de goût, restèrent à La Valette.

Hompesch, accompagné d’une vingtaine de personnes, chevaliers, servants d’armes, pages et serviteurs, s’embarqua la nuit suivante pour Trieste.

Cinquante-trois chevaliers, parmi les plus jeunes, se joignirent à l’armée d’Egypte et firent campagne sous le Directoire, le Consulat et l’Empire.

Le chevalier O’Hara, l’agent anglais, se trouvait alors à Malte et il s’embarqua en hâte pour Naples où il fut accueilli par les Hamilton. De là, sans se presser, il gagna la Russie, où il arriva au début de 1799, pour faire son rapport au Tsar.

Une légende veut que les trésors pillés à Malte aient été embarqués sur le navire français « L’Orient » et qu’ils aient coulé avec le bateau pendant la bataille d’Aboukir. En fait, ils avaient été déchargés bien avant. Il faut en effet noter que ces trésors, empilés par-dessus l’équipement militaire embarqué à Toulon, devaient avoir été déchargés en premier. Ils furent effectivement vendus en Egypte, où on en a retrouvé des traces.

A Malte, c’était la fin d’une époque glorieuse, pittoresque, très noble. Trois cent soixante ans d’un gouvernement exceptionnel, qui, un peu par hasard, s’était maintenu contre vents et marées au travers d’un monde en évolution.

Avec le départ de Malte, un aspect de la vie de l’Ordre s’éteignait. Au cours des années qui suivirent la perte de l’île, on allait assister à une tentative d’asservissement, à des fins purement politiques, de ce qui restait de l’Ordre. Hompesch, par son incompétence plus encore que par sa lâcheté, en avait été le fossoyeur.

La plupart des chevaliers qui quittèrent Malte rejoignirent leur Protecteur à Saint-Pétersbourg. Le 10 septembre 1798, le tzar promulguait un ukase aux termes duquel «il prenait sous sa haute protection tout le corps bien intentionné de l’Ordre». Il déclarait Saint-Pétersbourg «chef-lieu des assemblées de l’Ordre», et enjoignait à «tous les chevaliers présents en cette ville de prendre toutes les dispositions nécessaires pour administrer de manière utile et efficace ce noble Institut».

Entre-temps, Hompesch était arrivé à Trieste. Il s’adressa directement à Paul Ier, le priant de le laisser se justifier devant lui : il semblait donc reconnaître au tzar une autorité supérieure à la sienne.

Le 27 octobre 1798, les membres du grand prieuré de Russie et tous les autre chevaliers nombreux des autres langues, qui avaient trouvés refuge à Saint-Pétersbourg, élurent le tzar Grand Maître de l’Ordre en remplacement de Hompesch déchu. Le 13 novembre 1798, le tzar accepta le titre qui comblait ses plus chers désirs. Le bailli comte Litta devint son Lieutenant-Général.

Des auteurs qui veulent favoriser l’Ordre du Pape, le S.M.O.M.. (« Ordre Souverain Militaire de Malte »), tentent de trouver plusieurs arguments puérils contre l’élection de Paul Ier comme Grand Maître de l’Ordre. Ses auteurs qui, pour la plupart, racontent fidèlement l’histoire des Chevaliers de Malte jusqu’à leur départ de Malte en 1798, malheureusement déforment ensuite les faits historiques pour essayer de décrire que le S.M.O.M. personnifie la continuité de l’Ordre. Ce qui est complètement faux.

A Trieste où il s’était réfugié, Hompesch, déçu par Bonaparte, écrivit deux lettres de démission : l’une à l’Empereur de Russie, et l’autre à l’Empereur d’Autriche son allié. Et c’est ainsi qu’il abdiqua, remettant ses pouvoirs entre les mains du tsar :

«  A.S.M. l’Empereur Paul Ier de Russie.

6 juillet 1799

« Sire,

« En daignant se rappeler que j’ai été le premier à mettre avec une respectueuse confiance l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, dont la direction m’avait été confiée, sous la puissante protection de Votre Majesté Impériale, elle se persuadera aisément que j’ai été le premier aussi à bénir l’intérêt qua Votre Majesté q éprouvés, que son infortuné chef a bien gémi de n’avoir pu empêcher et dont il se serait estimé fort heureux d’être la seule victime. C’est l’attachement même à mes devoirs, Sire, et à la Religion de Malte, qui me fait la loi de tout sacrifier à son bien-être et d’écarter tous les obstacles qua ma personne pourrait me démettant volontairement de ma dignité de Grand Maître, ma conscience et l’approbation que j’attends de la justice de Votre Majesté Impériale, seront mes seules consolations, et personne ne prendra une part plus vive aux avantages qui résulteront pour l’Ordre, sous les glorieux auspices de Votre Majesté Impériale que l’Europe entière reconnaît pour son défenseur et sauveur.

« Je la supplie d’être persuadée du profond respect . . .

Hompesch »

 

«  A.S.M.  et R. l’Empereur François II d’Autriche.

6 juillet 1799

« Sire,

« Courbé sous le poids des malheurs qui m’accablent, la conviction intime (autant que la nature et la marche rigide des événements m’en ont laissé la faculté) que j’ai rempli religieusement les devoirs sacrés de mon état, peut seule m’empêcher de succomber à mon infortune et me servir de quelque consolation. Le même sentiment de mon devoir envers l’Ordre qui, sous ma direction, a éprouvé de si cruelles catastrophes, me porte aussi à me dévouer à son bien-être, à son rétablissement et à sa conservation dans ses anciens droits, statuts et privilèges, en me démettant volontairement de la dignité dont je suis revêtu et dispensant par cela même les chevaliers de cet Ordre illustre des devoirs qu’ils avaient contractés envers leur malheureux chef. Je supplie V.M.I.  et R. de recevoir cette déclaration, et d’y reconnaître l’attachement à mes devoirs et succès de la cause générale qui me l’a inspirée et de daigner la faire valoir auprès de son intime allié, l’Empereur de toutes les Russies, sous les auspices duquel l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem va renaître, dont j’ai été le premier à invoquer la protection et dont je serai le premier à bénir les efforts généreux pour le bien de la Religion.

« Je suis avec respect . . .

Hompesch »

 

L’élection de Paul Ier comme 70ème Grand Maître de l’Ordre est un fait historique indéniable. Il fut Grand Maître « de jure » et « de facto » et fut reconnu, en tant que tel, par tous les états et princes européens.

Le Pape n’a aucun droit de nommer un Grand Maître de l’Ordre. En 1376, quand le Pape Urbanus VI tenta de désigner Riccardo Carraccioli, Prieur de Capua,  comme Grand Maître, ce dernier ne fut pas reconnu, soit par l’Ordre, soit par les princes européens.

Le 5 septembre 1800, la France perd Malte aux anglais qui s’installèrent dans l’île après avoir aidé la révolte des maltais contre les français. La révolte des maltais fut, en grande partie, mené par leurs prêtres qui voulaient continuer à dominer le peuple et qui saisirent l’excuse du pillage de quelques églises par les troupes françaises pour soulever la population. Par la suite, les anglais furent plus malins : ils dirent qu’ils s’installaient provisoirement pour protéger les maltais des français mais ne partirent de Malte qu’après l’indépendance  de l’île en 1964. La longue durée des anglais à Malte fut permise grâce à leur entente avec les prêtres maltais. Toute la flotte navale anglaise fut basée à Malte et ceci leur assura la domination de la méditerranée depuis Gibraltar jusqu’à Chypre.

Paul Ier transforma le corps des pages, déjà ancien, en une école militaire réorganisée avec le plus grand soin. Il la destinait évidemment à l’éducation des fils des chevaliers : les élèves portaient la croix de Malte, tradition qui s’est maintenue jusqu’à la fin de la Russie tsariste. L’idée profonde devait être de faire réorganiser l’armée, comme la marine, par des chevaliers de Malte.

Le Pape ne pouvait certainement pas désavouer un souverain qui offrait aux chevaliers un asile et un appui dont ils avaient bien besoin.

Le 11 mars 1801, le 70ème Grand Maître, Paul Ier,  est assassiné.

Le 22 juin 1801, le Conseil Suprême de l’Ordre à Saint-Petersbourg (où se trouvait plus que la moitié des membres de l’Ordre) décida, comme le confirme Boisgelin dans ses écritures, de demander exceptionnellement au Pape de choisir un Grand Maître parmi une liste de candidats qui lui serait envoyée. Mais l’Ordre fut très spécifique en soulignant le fait que ceci était une décision unique et qui ne dérogeait en aucune manière les droits et les privilèges réservaient à l’Ordre : « en tenant compte de la condition et de la précaution que par cette élection remise pour cette fois, aucun préjudice, aucun dommage ne puisse être porté à l’avenir et aux droits et prérogatives de l’Ordre ».

Une fois que le Pape avait exprimé son choix, il devait le soumettre pour le consentement et l’agrément de l’Ordre.

La liste de candidats soumise au Pape fut la suivante :

  • Les chevaliers Masini, Pignatelli et Bonelli du Prieuré de Sicile ;
  • Le Comte Colloredo et Comte Kollowrath de la Bohême ;
  • Les chevaliers Rodrigo Mansel Gorjao et Carvalho Pinto du Portugal ;
  • Le chevalier Jean-Baptiste Tommasi  de la Toscane ;
  • Le chevalier Barthelemy Ruspoli de Rome ;
  • Le chevalier Taufriken de Bavière ;
  • Le chevalier Morawitzky de la Russie ;
  • Le chevalier Pfurdt Plumberg et le Baron Rinch de l’Allemagne ;
  • Le Baron Flachslanden de la France.

Le Pape décida de nommer  « Motu Proprio » le bailli Barthelemy Ruspoli comme Grand Maître sans y soumettre son choix pour l’approbation du Suprême Conseil de l’Ordre. Sachant bien que le Pape n’avait pas le droit de faire cela, le bailli Ruspoli sagement refusa l’offre du Pape.

Le Pape au lieu de remettre cette question, comme de droit,  aux mains du Suprême Conseil de l’Ordre à Saint-Petersbourg, essaya, à nouveau « Motu Proprio »,  de nommer le bailli Caracciolo de San Eramo comme Grand Maître. Aussi celui-ci, sachant bien que le Pape agissait  contrairement aux règles de l’Ordre, sagement déclina l’offre.

Le Pape manqua une autre fois de remettre la question au Suprême Conseil de l’Ordre à Saint-Petersbourg et voulu nommer « Motu Proprio » le commandeur Romagnosi comme Grand Maître. Aussi ce troisième sagement rejeta cette offre du Pape.

Il est aussi important de constater le fait que ni le bailli Caracciolo et ni même le commandeur Romagnosi  n’avaient été inclus dans la liste des candidats proférée par le Suprême Conseil de l’Ordre. Ceci souligne, indéniablement, l’agissement totalement illégitime du Pape en cette matière.

Finalement, le Pape trouva que le bailli Jean-Baptiste Tommasi était disposé à recevoir ce titre et il le nomma « Motu Proprio », Grand Maître. Ainsi fut créer ce nouveau Ordre qui, par la suite, pris le nom « d’Ordre Souverain Militaire de Malte » (communément connu aujourd’hui soit sous le nom de S.M.O.M., ou comme P.O.M. : « Papal Order of Malta »).

A la conclusion du livre d’Henri-Christian Schrœder et Geneviève Laffont,  intitulé « L’illusion de Malte », on trouve : « . . .  Pour mémoire, en 1803, l’Ordre de Malte . . . ne fut véritablement recréé par le Pape (contrairement aux règles orginelles de l’Ordre, indépendant en principe du Vatican) qu’à partir de la petite Commanderie de Catane en Sicile, ultime refuge de 7 « profès » électeurs isolés, donc théoriquement en nombre insuffisant pour incarner légitimement le Souverain Conseil seul habilité à nommer le Grand Maître. » .

Le bailli Tommasi, 1er Grand Maître de ce nouveau Ordre du Pape,  porta le siège de ce nouveau Ordre de Messine à Catane, où il résidait, est il ne tarda pas de mourir de chagrin, peu de temps après, parce que naturellement les choses n’allaient pas aussi bien qu’il aurait pu l’espérer.

Donc, après la mort de Tommasi en 1805, ce nouveau Ordre du Pape devait revenir à Rome en 1834 mais il n’y eut aucun Grand Maître pendant de nombreuses années . Le 28 mars 1879, le Pape Léon XIII rétablissait un autre Grand Maître et ce nouvel Ordre du Pape se fixa définitivement à Rome, Via Condotti.

Entretemps, le véritable Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, dit Chevaliers de Malte, continua à exister grâce aux chevaliers héréditaires qui jouissaient encore de la protection du tsar Alexandre I de Russie.

La proclamation d’un décret du tsar Alexandre I en 1801, signé par lui-même et contre signé par le Grand Chancelier « Magnus Cancellarius Comes de Pahlen », déclare comme suit :

« Voulant donner à l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem un témoignage de NOTRE affection et de NOTRE bienveillance particulière, NOUS déclarons que NOUS le prenons sous NOTRE protection IMPĖRIALE, et que NOUS apporterons tous NOS soins, honneurs, privilèges et propriétés.

« Dans cette vue NOUS ordonnons à NOTRE  Feld-Maréchal-Général Bailli Comte Nicolas de Soltykoff de continuer à exercer les fonctions et l’autorité de Lieutenant du Grand Maître du dit Ordre, de convoquer une Séance du Sacré Conseil pour y faire connaître que NOTRE intention est, que cette résidence IMPĖRIALE soit encore regardée comme le Chef-Lieu de l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, jusqu’à ce que les circonstances aient permis de LUI donner un Grand Maître selon ses Statuts et ses formes antiques . . . ».

Une autre preuve que le véritable Ordre a continué d’exister fut le fait qu’en 1806 le roi Gustavus IV de la Suède offre au véritable Ordre l’île de Gottland (et non pas au nouveau Ordre  du Pape).

Aussi, dans les œuvres autoritaires de John Debrett intitulés « Debrett Peerage », pour les années 1807, 1817, 1819, et 1825, on trouve la liste de personnes qui ont reçus le titre de chevalier, et on reconnaît l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, sous la protection des tsars de la Russie, comme étant l’unique et véritable Ordre de Malte.

A.M. Perrot écrit dans son livre « Collection Historique des Ordres civils et militaires » : « De nos jours, l’Ordre est sous la protection de l’empereur de Russie, et se trouve gouverner par un Lieutenant assisté par un conseil d’état ».

En 1822, l’Autriche offre l’Ordre, ayant son siège en Russie, l’île dans le Quarnero ou l’île d’Elbe en échange de recevoir le titre de Grand Maître pour l’empereur de Habsbourg.

En 1823, le gouvernement Grec offre à l’Ordre l’île de Rhodes, à condition que les chevaliers se joignent à eux contre la Turquie. Naturellement, ceci est impensable.

En 1831, l’écrivain bien connu anglais William Sutherland dédicace son livre « The Achievements of the Knights of Malta » ainsi:

« A Sa Majesté Impériale Nicolas I (1825-1855), Empereur et Autocrate de Toutes les Russies, sous lequel les prédécesseurs immédiats des chevaliers de Malte trouvèrent refuge, tandis que tous les autres monarques de la Chrétienté leur refusa l’asile,  et c’est Lui qui toutefois leur donne Sa protection et permet l’étendard de cet ancien et très illustre Ordre de flotter  encore, je Lui dédie humblement cet œuvre comme auteur. »

En 1834, C. de Magny, dans son livre « Recueil Historique des Ordres de Chevalerie » démontre clairement que l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem existait et fonctionnait en Russie et non pas à Rome.

En 1848, le libraire national de la Belgique, Loumyer, fait la même déclaration que celle émise ensuite dans « Burke’s Peerage ».

En 1858, « Burke’s Peerage » cite dans leur publication autoritaire « The Book of Knighthood and Decorations of Honour »,  publié en Angleterre, qui déclare :

« Référence à l’Ordre de Saint-Jean – Russie:

Les deux Grand Prieurés Russes préservent encore l’ancienne Constitution et Format de l’Ordre, sous la protection de l’Empereur qui est à leur tête.

Le Grand Prieuré de Pologne, établi en 1776, était pour longtemps lié aux branches anglaises et de Bavière qui étaient composés de 20 Commanderies.  A présent, celui-ci est uni avec les prieurés Russes et le tout est divisé en deux Grand Prieurés qui consistent de chevaliers russes catholiques et orthodoxes. Ces derniers comptent maintenant 98 commandeurs tandis qu’ils en avaient auparavant 393 commandeurs et 32 chevaliers de grand-croix.

En 1897, dans le « Dictionnaire Encyclopédique des Ordres de Chevalerie » et « Malte dans le passé et aujourd’hui » par M.L. de la Brière, ces deux œuvres font référence à l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem qui existe et fonctionne en Russie (et non pas à Rome).

En 1915, Robert R. McCormick, dans son livre intitulé « With the Russian Army » (The Macmillan Company, New York) au chapitre X, avec le « Corps de la Garde » écrit comme suit :

« Les soldats de la Garde Impériale sont les élites de tout l’empire Russe.

La plupart ont gradués de l’école du « Corps des Pages » qui sont des étudiants des Chevaliers de Malte. L’admission à cette école d’élite est restreinte :

(1) aux fils des Chevaliers de Malte, (2) aux fils des généraux et des lieutenants généraux, et (3) aux fils de familles dont les titres de noblesse remontent à plus de cent ans.

Maurice Paléologue, ambassadeur de France à Saint-Petersbourg durant les dernières années du règne des tsars, cite dans ses 3 volumes intitulés « La Russie des Tsars pendant la Grande Guerre » (publiés à Paris en 1921-1922) des fonctions qui se sont déroulés dans l’église du Prieuré de Malte des Corps des Pages de la Cour Impériale dont assistèrent tous les ambassadeurs et ministres des Etats chrétiens européens le Jeudi Saint, 1er avril  et vendredi le 2 avril 1915, ainsi que le jeudi saint, 2 avril 1916.

En mars 1917, la révolution éclate en Russie et le Duma effectivement assume le pouvoir le 11 mars 1917. Le 15 mars 1917, le tsar Nicolas abdique.

Maurice Paléologue écrit : « Dimanche de Pâques, le 15 avril 1917 :

« Nous sommes allés à l’église orthodoxe – la famille impériale était en état d’arrestation domiciliaire et il n’y eut aucune fonction au prieuré de Malte ».

Tout ceci démontre clairement que l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, Chevaliers de Malte, continua son existence malgré toutes les péripéties et malgré l’intervention du Pape qui construisit un nouvel Ordre qui, jusqu’à nos jours, tente de fausser l’histoire en voulant assumer, à tort, la continuité de l’Ordre.

Certains historiens qui veulent épouser la cause du nouvel Ordre que le Pape créa, prétendent que le tsar Alexandre Ier supprima l’Ordre. Au contraire, se sont les membres du nouvel Ordre du Pape qui tentent de supprimer le véritable Ordre pour usurper les pouvoirs de l’Ordre véritable. Personne ne pouvait et  n’avait le droit de supprimer le véritable Ordre qui, fort heureusement, continue aujourd’hui et reprend des forces grâce à de nouveaux membres de qualité qui se joignent pour contribuer à l’effort collectif.

–  Paris, France, 1955 : le Baron de Taube, écrit le fait historique suivant dans son livre intitulé « L’Empereur Paul Ier de Russie, Grand Maître de l’Ordre de Malte et son Grand Prieuré Russe de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem ».

« Également fausse est une autre fable répandue à ce sujet jadis en Russie, et qui raconte la prétendue suppression du Grand Prieuré de Russie par Alexandre en 1817. Elle s’explique aisément par le fait que, précisément à cette époque, l’Empereur interdit la réception des insignes d’Italie de l’Ordre et leur port en Russie sans une autorisation préalable du Tsar. Cette mesure fut prise par le Cabinet des ministres et sanctionner par l’Empereur sur la demande des chefs militaires de trois jeunes officiers Lazaroff, qui avaient reçu sur coup, directement d’Italie, des croix de Malte et étaient soupçonnés de les avoir obtenues grâce à d’importantes sommes versés à la caisse du grand magistère. »

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Ces rejetons du véritable Ordre de Malte, par surcroît, se reconnaissent entre eux :

(1)  l’Ordre strictement catholique du Pape, le S.M.O.M. : Le Grand Maître de cet Ordre doit être célibataire et n’a pas la permission de revêtir ce titre sans l’autorisation préalable du Pape, donc sa souveraineté est discutable. L’allégeance de cet Ordre est transféré à un souverain étranger : le Pape ;

(2) l’Ordre Vénérable de Saint-Jean, qui est l’Ordre Protestant Anglican. [En 1887, cet Ordre anglais crée aussi le « St. John’s Ambulance Brigade » qui ressemble à la Croix-Rouge, mais ses membres et ses ambulances  arbore la croix maltaise à huit pointes.] : La reine Elizabeth II porte actuellement le titre de Chef Souverain de cet Ordre et son oncle le duc de Gloucester est le grand prieur. Ainsi dans ce cas,  l’allégeance de cet Ordre est transféré au souverain national. A noter que cet Ordre ne confère pas le titre de « Chevalier » à ses membres ;

(3) l’Ordre Evangélique de Saint-Jean (Evangelische Johanniter Orden), ou « Johanniter Orden », de souche allemande : Cet Ordre s’est reconstitué à Bonn, et son maître est le prince Wilhelm Karl de Hohenzollern. L’Ordre est séparé de l’Etat. Le précédent maître était le prince Oskar de Prusse, père du maître actuel : lorsqu’il mourut en 1958, le S.M.O.M. envoya à son enterrement deux membres en grand uniforme.

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Ce qui a permis à l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, Chevaliers de Malte,  de survivre à travers tous ces siècles, malgré aussi les récents attentats par les rejetons de l’Ordre de le supprimer,  fut la flexibilité de s’adapter aux exigences nouvelles  en changeant sa Constitution et ses Statuts selon les temps prévalents.

Le fait indéniable historique est que, quand le Protecteur de l’Ordre, le tsar Paul Ier accepta son élection de 70ème Grand Maître, la constitution de l’Ordre confirme que:

(1) l’Ordre est un Ordre œcuménique, et

(2) le Grand Maître, étant marié, permet aux futurs Grand Maîtres de ne pas faire le vœu de chasteté.

Ce fait est très important parce qu’il différencie le véritable Ordre de Saint-Jean aux autres ordres rejetons qui sont de nature soit purement catholique ou soit protestant. On ne peut pas tordre l’histoire pour accommoder les prétentions d’un ordre rejeton.

Ces ordres rejetons ont certainement le droit d’exister en tant qu’ordres nouveaux sous soit le Pape, soit sous la Reine d’Angleterre, soit comme ordre dynastique, mais ils n’ont certainement pas le droit de vouloir se travestir comme étant les descendants directes du véritable Ordre de Saint-Jean dont le bienheureux Gérard fut le fondateur.

Il est donc très évident, qu’à la suite du décès du 70ème Grand Maître, le tsar Paul Ier, l’Ordre héritier véritable se différencie des Ordres rejetons par deux faits importants déjà mentionnés, mais qu’il est bon de répéter :

(1) l’œcuménisme, et

(2)  les futurs Grand Maîtres n’ont pas la nécessité de faire le vœu de chasteté.

Donc, comme nous avons déjà élaboré ci-dessus, l’Ordre continua après la mort de Paul Ier sous la protection de son fils Alexandre Ier et puis par l’intermédiaire de divers chevaliers héréditaires en Europe.

A travers sa longue histoire, l’Ordre connut plusieurs périodes d’assoupissement. Et cette dernière dura jusqu’aux environs de 1890.

Un peu avant la révolution en Russie, des chevaliers héréditaires de l’Ordre se réfugièrent aux Etats-Unis d’Amérique et organisèrent des réunions car ils pressentaient le besoin de s’organiser et de réveiller l’Ordre à partir de leur pays d’adoption.

Le Colonel Charles Louis Thourot Pichel, membre de la Société de l’Histoire de France, décrit dans son livre de l’histoire de l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem, Chevaliers de Malte, comment ces réunions aux Etats-Unis d’Amérique se firent entre 1890 et 1929 au Waldorf-Astoria, au 5ème et  au 34ème Avenue, dans la ville de  New York. Quelques autres réunions se déroulèrent aussi au Murray Hill Hotel, Park Avenue, dans la même ville de New York, et aussi à Norfolk dans l’état américain de Virginia.

Après 1929, les réunions eurent lieu dans le bureau du Lieut. Grand Maître de l’Ordre, le Colonel William Sohier Bryant à Murray Hill dans la ville de New York.

En 1945, les réunions de l’Ordre se firent au couvent de l’Ordre dans l’état de Pennsylvania, toujours aux Etats-Unis d’Amérique. Les rapports des réunions indiquent que le William Lamb fut le visionnaire qui inspira et qui contribua en premier lieu à installer le siège de l’Ordre aux Etats-Unis d’Amérique.

William Lamb était le fils de William Wilson Lamb qui naquit à Norfolk, dans l’état de Virginia, le 7 septembre 1835.

William Lamb était le descendant direct du Général Ivan Lamb de Russie qui fut nommer Grand Préservateur de l’Ordre des Chevaliers de Malte par le tsar Paul Ier. Cette nomination fut faite, évidemment, pour garantir la préservation de l’Ordre après la mort de l’empereur.

Le Général William Lamb, durant son séjour à la cour de Saint-Petersbourg, fut honorer de recevoir le rang de Commandeur militaire pour s’être distingué valeureusement dans l’armée russe.

Son descendant, William Lamb, fit ses études à l’université de Saint Lawrence et fut diplômé en Droit.  Il fut éditeur du journal « Daily Southern Argus » entre les années 1855 et 1861 ; ensuite il servit avec le grade de capitaine des « Woodis Rifles Military Company » en Norfolk, Virginia, durant plusieurs années avant la guerre ; puis il continua le service militaire quand  son escadron se joint aux troupes de l’état de Virginia en avril 1861.

William Lamb entra ensuite dans l’armée confédérée des Etats-Unis avec le grade de capitaine et fut promu au grade de colonel. Le 15 janvier 1861 il fut sérieusement blessé et dut se servir de béquilles pendant sept ans.

Après la guerre, le colonel Lamb fut nommer Consul d’Allemagne et Vice-Consul de Suède et de Norvège à Norfolk dans l’état de Virginia. Il fut élu ensuite Maire de Norfolk trois fois de suite de 1880 jusqu’à 1886. Il mourut le 22 mars 1909 et fut survécu par son fils unique Henry Whiting Lamb.

Le colonel Lamb fut expert en diplomatie : il s’assura de l’assistance de plusieurs membres du corps diplomatique de plusieurs nationalités pour établir l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem aux États-Unis d’Amérique.

Dès 1880, Lamb commença ses contacts avec des personnalités importantes afin de réaliser son plan. En 1890, le colonel avait déjà réussi de rassembler une centaine de personnes distinguées.

A l’une de ses séances, tenu régulièrement, qui se déroula le 10 janvier 1908, quelques extraits du discours du colonel Lamb sont inscrits dans le compte-rendu de cette séance :

« . . . nous sommes réunis ensemble après avoir fait un appel international avec et entre les membres héréditaires qui représentent les diverses langues de l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem à travers l’Europe, afin d’établir un grand prieuré dans les Etats-Unis d’Amérique, et de poursuivre la continuité légale de l’Ordre . . .

« . . . vous savez bien que cette séance est le fruit de plusieurs années de consultation, de délibération, de prévision et de préparation . . .

« . . . nous continuons avec certaines des modifications apportées à l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem . . .

« . . . ainsi que cela fut constitué sous le 70ème Grand Maître, Son Altesse Impériale Paul Ier, Empereur de Toutes les Russies . . .

« . . . nous savons bien que notre Ordre permet l’admission d’individus qualifiés de toutes les dénominations Chrétiennes . . . »

« Avant de conclure mes observations, je tiens à remercier tous les membres et associés qui, depuis 1880 jusqu’à 1890, ont contribués tant de temps, d’effort et de voyage, et ont organisés des prises de contact, des réunions, des accords, etc…, en Europe et en Amérique. Ces pionniers de notre mouvement méritent nos remerciements et une place permanente dans notre mémoire, dans notre Ordre, et dans nos prières.

« Les suivantes personnes sont parmi le nombre de ceux à qui nous devons démontrer notre gratitude : James A. Harden-Hickey, Baron de l’empire romain et son ami le Comte de la Boissière ; le Baron Rosen, ambassadeur de la Russie aux Etat-Unis ; Charlemagne Tower, ministre des Etats-Unis en Autriche-Hongrie et ambassadeur envers la Russie et l’Allemagne ; le Comte Alexandre Boutourlin ; le Comte Alfred de Choiseul-Gouffier ; le Prince Michel Khilkov ; Ethelbert Watts, consul général des Etats-Unis à Saint Petersbourg ; l’amiral Paul de Ligny ; Clifton Rhodes Breckinridge, ministre des Etats-Unis en Russie ; le Prince Pierre Troubetzkoy ; le Comte Dmitri Boutourlin ; le Baron L. Hengelmuller von Hengervar, ambassadeur de l’Autriche-Hongrie aux Etats-Unis ; le Comte Alexandre Narishkin ; le Grand Duc Alexandre ; Peter Jansen, banquier russe et éleveur de brebis à Nebraska ; le général Radomir de Serbie ; Nikolas Pashitch, Premier Ministre de la Serbie ; le Prince Georges Radziwill et le Prince Pierre Volkonsky ; »

L’Ordre fut constitué aux Etats-Unis en vertu de l’autorité exercé par les chevaliers qualifiés et par les chevaliers héréditaires dont les ancêtres avaient reçu les droits héréditaires qui leur furent conférés par le 70ème Grand Maître de l’Ordre et par d’autres.

Ainsi ceci démontre la ligne historique qui fait la continuité de notre Ordre et qui est bien décrit dans le livre du Colonel Pichel sur l’histoire de l’Ordre Souverain de Saint-Jean de Jérusalem.

En 1913,  Son Altesse Impériale le Grand Duc Alexandre de Russie fut élu 71ème Grand Maître de l’Ordre.

Dans son discours d’acceptation du titre de 71ème Grand Maître, le Grand Duc Alexandre fit l’éloge des chevaliers responsables pour la continuité et la préservation de l’Ordre suivant la constitution promulgué par son ancêtre et prédécesseur, le 70ème Grand Maître, Son Altesse Impériale le tsar Paul Ier, Empereur de Toutes les Russies.

Le Grand Duc Alexandre était aussi un Grand Prieur de l’Ordre et resta Grand Maître jusqu’à sa mort en 1933.

Le Colonel Dr. William Sohier Bryant, M.D., était aussi Grand Prieur de l’Ordre et Lieut. Grand Maître de l’Ordre de 1913 à 1951.

Le Colonel Bryant fut succédé par un gentilhomme balte, le Baron de Engelhardt-Schnellenstein de 1951 à 1955. Le Baron était le descendant de deux membres du Conseil Suprême de l’Ordre durant le règne du 70ème Grand Maître à Saint Petersbourg.

Son Excellence le Dr. F. H. von Zeppelin fut élu Lieutenant Grand Maître de l’Ordre de 1956 à 1960; Graf von Zeppelin est un descendant de l’un des membres distingués de l’Ordre, Johann Carl Comte von Zeppelin, ministre diplomate de Wurttemberg à la Cour Impériale Russe à Saint Petersbourg en 1800.

Le Colonel Paul de Granier de Cassagnac suivit au poste de Lieutenant Grand Maître en1960. Il fut déposé de ce rang en 1961 et ceci fut confirmer le 24 février 1962 par une cour de justice du Conseil Suprême de l’Ordre, en vue de son comportement et conduite contre l’éthique et susceptible de nuire l’Ordre.

En 1962, le Comte Felix von Luckner fut élu Lieutenant Grand Maître jusqu’à 1966.

En 1964, la Langue de Malte fut créé en accord avec le Traité d’Amiens, chapitre X paragraphe 3, et le prieuré de Malte fit sa naissance.

En 1966, le Comte Crolian William Edelen de Burgh fut élu 72ème Grand Maître de l’Ordre jusqu’à 1976 et puis accepta d’être Grand Maître Emeritus de l’Ordre.

Durant toute la période entre 1956 et 1977, le Colonel Charles Louis Thourot Pichel fut le Grand Chancelier de l’Ordre et dirigea l’Ordre d’une manière très vigoureuse et, fut l’auteur du livre sur l’histoire de l’Ordre Souverain de Sain Jean de Jérusalem, Chevaliers de Malte, qui démontra catégoriquement la continuité de l’Ordre depuis leur départ de Malte en 1798 jusqu’à 1970.

En 1976, le Colonel Pichel accepta le poste de Grand Chancelier Emeritus, à vie, de l’Ordre qui lui fut offert pour couronner son dévouement et toutes ses années de travail méritoire pour l’avancement de l’Ordre. Le nouveau Grand Chancelier de l’Ordre fut le Comte Thorbjörn Wiklund de Suède tandis que le Grand-Maître de cette période ne revétit qu’un rôle symbolique.

Aussi en 1976, le siège de l’Ordre retourna, de nouveau, à l’île de Malte et cette nouvelle fut reçue avec grande joie par tous les chevaliers car c’est à Malte que l’Ordre vécu ses années les plus glorieuses de son histoire. Malte est le joyau de l’Ordre est tous les visiteurs qui y viennent sont éblouis par tous les palais, les auberges et la cathédrale resplendissante de merveilleuses sculptures, tapisseries et cadres peints par de fameux peintres qui furent membres de l’Ordre tels que Michelangelo Merisi (dit « Il Caravaggio »), Leonello Spada, Mattia Preti, et d’autres. La capitale actuelle de Malte fut toute construite par l’Ordre après la victoire des chevaliers durant le grand siège de l’île en 1565 contre les Turcs et fut nommer « Valletta » en honneur du Grand Maître, Jean Parisot de La Valette.  Par surcroît, la capitale est restée telle que les Chevaliers l’avaient construite jusqu’à nos jours – ce qui accroît l’admiration des visiteurs pour les Chevaliers de Malte.

Le Colonel Charles Louis Thourot Pichel décéda en novembre 1982.

En avril 1982, le Prince Vassili Romanov, fils du Grand Duc Alexandre de Russie, accepta d’être le Protecteur de l’Ordre.

Le 9 octobre 1991, le Comte Thorbjörn Wiklund mourut.

Le 17 septembre 1994, Son Altesse Impériale de la maison Impériale de Constantinople et de Byzance, le Prince Henri Constantin III de Vigo Aleramico Lascaris Paléologue, accepta le poste de 74ème Grand Maître de l’Ordre.

Le Grand Maître Paléologue immédiatement nomma le Grand Prieur de Malte, le Comte Louis Scerri Montaldo, Comte de Modon, comme Grand Chancelier avec le devoir de diriger l’Ordre.

Le Comte Louis Scerri Montaldo emboîta le pas aux deux autres illustres Grand Chanceliers de l’Ordre qui l’avaient précédés et qui occupèrent ce rang à la suite de la révolution Russe, le Colonel Pichel et le Comte Wiklund.

En 1997, le Comte Louis Scerri Montaldo fut nommer Lieut . Grand Maître de l’Ordre, outre sa charge de Grand Chancelier,  par le Prince Henri Paléologue qui accepta de devenir le Protecteur de l’Ordre.

La continuité des Grands Chanceliers de l’Ordre qui dominèrent l’Ordre  depuis la période américaine fut traçé par le Colonel Thourot Louis Pichel, suivit du Comte Wiklund et puis du Comte Montaldo.

Le 31 janvier 2003, le Conseil Suprême de l’Ordre approuva l’élection du Comte Louis Scerri Montaldo comme 76ème Grand Maître de l’Ordre et le décréta comme tel à partir du 1er février 2003.

Le 76ème Grand Maître Montaldo ayant eu le poste de Premier Ministre et Ministre des Affaires Etrangères du gouvernement de l’Ordre, auparavant en tant que Grand Chancelier, décida immédiatement de continuer à assumer ces postes pour continuer à diriger les affaires de l’Ordre. Il n’a aucune intention de ne revêtir qu’un rôle symbolique comme plusieurs des Grand Maîtres l’avaient été avant lui. Au contraire, dorénavant le Grand Maître doit assumer le rôle primordial de l’Ordre et doit le gérer lui-même – comme il se doit.

Montaldo est descendant d’une ancienne famille aristocrate ayant plusieurs racines de ses ancêtres dans l’Ordre. Donc, il continu la tradition que la famille Montaldo a eu avec l’Ordre à travers les ages.

            La famille Montaldo furent Doges (aujourd’hui le titre de Doge est équivalent à celui de Duc) de la république de Gênes au XIVème siècle. Durant cette période, deux Doges de la famille Montaldo à Gênes furent Leonardo Montaldo et Antoniotto di Montaldo.

            La famille Montaldo a aussi des liens avec l’aristocratie Française et Anglaise à travers des branches des familles Montault et Montaigu.

            En 1248 , Bérard de Montault,  qui appartient à la branche Française de la famille, pris part aux Croisades avec Saint Louis IX. Cette branche de la famille se prolonge jusqu’à Philippe de Montault, Duc de Navailles, Maréchal de France durant le règne du roi Louis XIV.

            Une autre branche de cette famille , qui s’installa en Angleterre avec Eustace de Montault, pris part avec Guillaume le Conquérant à la bataille de Hastings en 1066.

            Trasimondo Montalto, fils de Unfrido, Lord de Montault, fut le Commandant-en-Chef de Comte Roger de Normandie.

La famille du 76ème Grand Maître est lié étroitement avec l’Ordre des Chevaliers de Malte depuis des siècles.

La famille fut aussi appelé Montalto et, comme tels, 12 membres de la famille Montalto joignirent l’Ordre entre les années 1441 et 1784 ;

            En 1530, Antonio Montalto signa à Messine, en Sicile, « l’Exequatur » pour la donation des îles de Malte et de Gozo, ainsi que de la ville de Tripoli en Afrique du Nord, à l’Ordre des Chevaliers par l’Empereur Charles Quint.

            Un autre membre de la famille Montalto, Chev. Giovanni Battista Montalto, pris part au Grand Siège de Malte en 1565 et alla combattre pour défendre  le fort de Saint Elme contre les Turcs. Il fut blessé et mourut ensuite à Birgu, Malte, Il est enterré actuellement dans l’imposante cathédrale de Saint Jean construit par les chevaliers et son tombeau est recouvert d’une dalle de marbre avec des inscriptions mortuaires honorant son nom.

            Un autre membre de la famille Montalto, Chevalier de Malte, est aussi enterré à la cathédrale de Mdina, à Malte, avec une dalle de marbre inscrite en son nom.

            En 1576, le Chev . Michele Montalto fut nommé capitaine du galion « Magistrale » de l’Ordre de Malte.

            Un autre ancêtre aligné directement à la famille du Grand Maître, Antonio Montalto, est devenu bien connu dans l’histoire des Chevaliers de Malte par ses exploits de courage et de vaillance. Il était un des plus habiles capitaine des courses fructueuses qui accumulèrent près de 10 000 captifs à Malte.  Ceux-ci étaient importants pour les Chevaliers car ils leurs fournissaient un revenu important.

            En 1749, à Rhodes, Antonio Montalto, qui avait été fait prisonnier par les Turcs, organisa une révolte et s’empara de la galère d’ordonnance « La Lupa » du Pacha turc de Rhodes, commandée par le malfamé Pacha de Rhodes lui-même, Mustafa, avec l’aide des 140 esclaves chrétiens à bord qu’il libéra après avoir ligoté le Pacha dans sa cabine. Il firent prisonniers les 120 turcs à bord  et cinglèrent à toute voiles vers Malte. L’ahurissement et la joie des Chevaliers en voyant arriver dans le grand port de Malte cette galère « La Lupa », sous le commandement d’Antonio Montalto, ayant tant de prisonniers turcs y inclus le Pacha de Rhodes lui-même,  fut indescriptible. Cet épisode est décrite dans le livre intitulé « The Nobles of Malta ».

            Le 76ème Grand Maître refait la Constitution et les Statuts de l’Ordre pour qu’ils soient conformes à l’ère moderne de télécommunications. Il obtint déjà, depuis le 15 février 1985, la permission du gouvernement maltais pour une station de radio amateur de l’Ordre ayant l’indicatif 9H1OSJ. Il est important que l’Ordre se serve de tous les moyens modernes pour faciliter des contacts réciproques immédiats entre les prieurés et les membres.

            Le Grand Maître Montaldo, sachant l’importance de la réputation maritime dont l’Ordre jouissait vient aussi d’instaurer « L’Institut des Mers » de l’Ordre qui a pour but d’encourager le développement de tous les aspects de recherche marine. Malgré que cet institut de l’Ordre soit dans un état encore embryonnaire, le Grand Maître a déjà réussi d’établir un accord bilatéral avec l’Académie des Sciences de Moscou.

            Le Grand Maître Montaldo a aussi bien l’intention de poursuivre l’idéal hospitalier de l’Ordre et de consolider cette vocation inhérente à l’Ordre.

            L’Ordre dépend surtout de la participation très importante de ces membres. Ceux-ci doivent y contribuer de toutes leurs forces et dans tous les domaines pour faire regagner à l’Ordre son influence mondiale de jadis.

            Les membres de l’Ordre doivent réaliser qu’ils forment partie d’une famille et que tous ont un rôle à jouer pour que cette famille grandisse en  ampleur et en qualité.

 

MEMBRES    SELECTS   DE   L’ORDRE

NOMMÉS   PAR   L’EMPEREUR   PAUL I

 

A la Cour Impériale de Saint Petersbourg, en Russie.

 

Sa Majesté, Louis XVIII, Roi de France

S.A.R. Philippe Louis de Bourbon

S.A.R. Louis Antoine de Bourbon Duc d’Angoulème

S.A.S. Monseigneur le Prince de Condé

S.A.S. le Duc d’Enghien

S.A.S. le Duc de Bourbon

Charles Montmorency, Prince de Luxembourg

Lieutenant-Général Duc de Richelieu

Louis Joseph Comte Mailli Marquis de Nesle

Gabriel Comte Choiseul d’Aillecourt

Jules René Comte de Litta,

Ambassadeur de l’Ordre en Russie

Johann Carl Comte von Zeppelin,

Ministre de Wurttemberg en Russie

Helen Pavlowna, Princesse de Mechlenburg-Schwerin

Alexandra Pavlowna, Archduchesse d’Autriche-Hongrie

Colonel Prince de Rohan, au service de l’Autriche

Georges d’Engelhardt, Conseiller de Collège

Prince François de Anhalt-Bernburg-Schaumburg

Prince Dolgorouky, Général d’infanterie

Prince Frédéric de Hohenzollern-Hechingen

Prince Charles de Mechlenburg-Schwerin

L’Archevêque de Saint Petersbourg

Prince Alexandre de Wurttemberg

Antonin Duc de Serra Capriola

Vicomte de Clermont-Tonnerre

Général-Majeur d’Engelhardt

Louis Bertrand de Beaumont

Baron de Rochefoucault

Comte de Cosse Brissac

Marquis de Jancourt

Comte de la Chatre

Duc d’Aumont

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